Thursday, 19 March 2009

The Servant of God Rev. Fr Louis Bronchain, C.SS.R. (1829-1892)

A short life of Fr Bronchain in English is now available on Bronchain's Meditations.


His Life in French by Rev. Fr Bischoff, C.SS.R.

Certaines vies résument toute une époque, d’autres prêchent à leur temps la leçon qui lui est nécessaire. Si ce n’était la crainte de donner à la vie si humble, quoique si féconde, dont nous entreprenons le récit, une portée excessive, nous dirions qu’elle apporte à notre société actuelle la lumière dont elle a le plus besoin.
Nous périssons en effet de naturalisme. Tous les principes qui servent de base à la vie de la presque totalité des hommes, sont des principes humains opposés aux principes surnaturels et évangéliques. Et, ce qui est plus grave, beaucoup de chrétiens eux-mêmes sont atteints de ce naturalisme qu’ils respirent de toutes les façons, qui pénètre en eux par tous les pores de leur être. Souvent, hélas ! ceux qui devraient les garantir et remplir le rôle de sel préservateur, selon l’expression de l’Evangile, n’en sont pas exempts. Ce mal se retrouve dans un grand nombre des meilleurs et jusque dans les meilleures choses.
Le religieux dont nous allons parler, quoique d’une complexion délicate, fut avant tout l’homme du surnaturel; sa vie, son ministère, l’influence extraordinaire qu’il exerça autour de lui ont été le triomphe du surnaturel.
Elevé dans un milieu plus que chrétien et selon les pures maximes de l’Evangile, il resta toujours fidèle aux leçons de son enfance. Au séminaire comme au cloître, il laissa la réputation d’un saint. Enfin, dans tout le cours de son ministère, ses moyens d’action furent surtout des moyens divins. Son influence elle-même fut toute surnaturelle. La vraie source de cette influence ne fut ni l’éloquence, ni quelque autre don natural, mais avant tout l’imitation de Jésus-Christ et de saint Alphonse, son illustre Père.
Y a-t-il rien de plus surnaturel ?
A une époque où la puissance des moyens divins sur les âmes est si contestée, il est instructif autant que réconfortant de contempler le surnaturel en oeuvre et de toucher du doigt son incomparable ascendant sur les coeurs et sur les âmes.
Puissent ces pages inspirer, à ceux qui les liront, la résolution de se donner tout à Dieu; puissent-elles éveiller en eux le désir de suivre un si précieux exemple, en aimant, en imitant Jésus, gage de notre bonheur dans l’éternité !
Il ne nous reste qu’à faire une déclaration : Nous soumettons cet ouvrage au jugement et à la sanction de notre Mère la sainte Eglise. Par avance, d’un coeur docile et joyeux, nous réprouvons, condamnons, effaçons tout ce que le Souverain pontife, juge suprême de la doctrine et des directions, y pourrait trouver à reprendre, à condamner, à effacer.


CHAPITRE I

PREMIERES ANNEES
DU REVEREND PERE BRONCHAIN

a) L’enfance – b) Le Séminaire – c) La Vocation.

Ex studiis suis intelligitur puer si munda et recta sont opera ejus (Prov., xx, 11).
Par les inclinations de l’enfant, on pourra juger si ses oeuvres seront un jour pures et droites.

a) – L’Enfance

Charles-Louis-Laurent Bronchain naquit à Frameries, cité boraine, sise aux portes de Mons. Son extrait de naissance porte la date du 4 septembre 1829. Deux jours plus tard, il reçut la grâce ineffable du baptême.
Ses parents étaient d’honorables commerçants plus riches des biens de la grâce que des biens de la fortune. La mère de Louis était une de ces femmes fortes dont l’Ecriture fait l’éloge. De bonne heure, elle jeta dans l’âme de son enfant les germes de cette vertu sérieuse qui le caractérisa toujours. Elle lui inspira la crainte et l’amour de Dieu, bien secondée dans ce travail par le vicaire de la paroisse, M. l’abbé Mangin, qui, après une carrière bien remplie, mourut curé de Saint-Nicolas en Havré. Dès que le jeune Louis put lui servir la messe, il s’acquitta de cette fontion honorable avec un respect, une modestie et une piété qui édifièrent bientôt tous les assistants. A la gravité de son maintien, à son attitude religieuse et recueillie, on devinait sans peine que Dieu le préparait à prendre rang parmi les ministres de ses autels.
Quand les jours de sa première enfance furent écoulés et que la raison de Louis commença à se développer, il nous semble entendre cette mère vraiment chrétienne lui répéter ces paroles si onctueuses des livres sacrés :
“O mon fils, que te dirai-je ? enfant aimé et désiré de toute l’ardeur de mes voeux; fais, ô mon fils, que ton père et ta mère soient dans l’allégresse; écoute, mon enfant, sois sage et que ton âme marche droit dans la voie du Seigneur. Qu’il est heureux, mon fils, celui qui renferme dans son coeur les bonnes paroles du Seigneur ! il sera toujours heureux, car la lumière du Seigneur conduira ses pas (Prov., cap. XXIII, V. 19-25, etc.).” Louis, tout jeune encore, comprenait ces leçons de sa mère, et elles inclinaient doucement vers Dieu son âme pure et innocente.
Comme une cire molle et tendre qui reçoit toutes formes, sans la moindre résistance, comme le jeune arbrisseau à qui une main exercée assure une direction droite et gracieuse, ainsi le coeur du jeune enfant recevait de ses vertueux parents les douces et fortes impressions qui le formaient à la sagesse et à la vertu.
L’attrait vers l’Eucharistie s’éveilla de bonne heure dans le coeur du fils d’Alphonse de Liguori, le grand amant de Jésus-Hostie.
Après avoir servi la messe, ils se tenait recueilli à côté du prêtre qui venait d’immoler la Victime trois fois sainte. Obligé de s’expliquer sur cette manière de faire, il répondit sans la moindre hésitation : “J’agis de la sorte, pour me trouver plus près de mon Dieu.” Paroles admirables dans la bouche d’un enfant !
Plus d’une fois, disait-il, dans un moment de confidences, regardant avec une sainte envie les personnes qui s’approchaient de la Sainte Table, il m’a échappé de dire : “Quand donc me sera-t-il donné de recevoir cette salutaire Hostie !”.
Inutile de dire qu’avec de tels sentiments et de telles aspirations, l’année de la première com- munion fut, pour le jeune Louis, une époque de redoublement de ferveur.
Aussi, après avoir reçu, pour la première fois, le Bien-Aimé de son coeur, pouvait-il s’écrier:
O delices ! Dieu vit en moi : La Cour du Très-Haut m’environne : Sur mon front brille la couronne De l’innocence et de la foi : L’azur des Cieux est sans nuage ; Sur la terre tout rend hommage Au Dieu qui règne dans mon coeur; Tout à mon enfance ravie Parle de joie et de bonheur; C’est le plus beau jour de ma vie ! Ma mère, en voyant mon bonheur, M’a dit : “Enfant, reste fidèle Au Dieu de bonté qui t’appelle; Que rien ne flétrisse ton coeur.” Oh ! j’ai senti sur ma paupière Rouler des larmes ... quel mystère Quand le riant regard des cieux Tombe sur mon âme bénie, Pourquoi des larmes dans mes yeux, En ce plus beau jour de ma vie ?

Depuis ce jour trois fois béni, sa dévotion envers le Dieu de nos autels, se manifesta de mille manières. Allait-il à la promenade avec ses parents, toujours il trouvait le moyen de les diriger vers quelque église de village, et il était ingénieux à obtenir leur agrément pour y visiter le Divin Solitaire et se reposer un peu auprès de Lui.
Qui aime Jésus, aime sa Mère bien-aimée. Rien de plus tendre et aussi de plus solide que sa dévotion envers Celle qu’il appelait sa bonne Mère. Il n’en parlait qu’avec un accent qui dévoilait les sentiments de son coeur. Chaque jour, il récitait le Rosaire et puisait dans cette dévotion des dévotions, cette lumière et cette onction dont il devait plus tard remplir les deux livres qu’il a composés sur cette suave et salutaire pratique.
Son union à Dieu était presque continuelle. Il le voyait et tout et partout... tout lui servait pour s’élever à lui.
Se promenait-il dans la campagne, il admirait la grandeur de Dieu dans la beauté de la nature. Le soir, il aimait à considérer les astres et la magnificence des cieux. “Si l’extérieur est si ravissant, disait-il en lui-même, que ne doit pas être l’intérieur ! Oh ! beau ciel, quand te verrons-nous ! quand posséderons-nous ce Dieu si bon, sans craindre de le perdre !”

b) – Le Séminaire

Ce fut à l’âge de 15 ans que Louis se sépara, pour la première fois, de ses parents, pour être placé au Séminaire de Bonne-Espérance. Cet établissement était alors dirigé par M. le chanoine Bossaert, prêtre pieux, d’une distinction rare, qui consacra sa vie entière à l’éducation chrétienne de la jeunesse. Des professeurs éminents par leur science, leur expérience et leur piété, le secondaient dans sa rude charge. Aussi l'établissement abondait-il à cette époque en sujets capables qui donnèrent à l’Eglise des prêtres d’élite et à la patrie des hommes très méritants. Nous citerons le docteur Hayois, une des gloires de l’Université de Louvain, une des célébrités médicales du pays; les révérends Pères Valentin et Dehan qui furent mis à la tête de plusieurs communautés très importantes de la Compagnie de Jésus; M. l’abbé Vray, successivement professeur de rhéto-rique et Président du grand séminaire de Tournai.
C’est dans ce sanctuaire ouvert à l’enfance et à la jeunesse que Louis fut instruit dans la science et dans la vertu : c’est là que son esprit, pur et innocent comme son coeur, s’ouvrit sous l’inspiration de la grâce aux leçons de ses maîtres, et qu’il continua d’acquérir cette précoce sagesse qui devait faire de lui un religieux de mérite entre les mains de Dieu.
Sa piété était simple, unie, invariable et sans ces accès de dévotion trop souvent suivis d’un relâchement sensible. Le premier et le plus solide fruit de cette piété était une égalité de conduite et une régularité invariables; jamais, c’est tout dire, on ne le vit contrevenir une seule fois à la moindre des règles du petit séminaire. Il faut en avoir l’expérience pour bien concevoir ce que coûte à la nature un assujettissement de tous les jours et de tous les instants, qui exige l’obéissance la plus ponctuelle, et ne laisse, ni pour les temps, ni pour les lieux, ni pour le choix des occupations, rien à la volupté propre. Aussi n’est-ce pas sans raison que saint Jean Berchmans, ce parfait modèle de la jeunesse, regardait la vie commune, ainsi entendue et pratiquée, comme la plus rude et la plus méritoire des mortifications. Le jeune Louis paraissait avoir fait de cette maxime la règle de toute sa vie.
Un des principaux caractères à remarquer dans la vertu du jeune Louis était sa tendre dévotion pour la très Sainte Vierge. A peine avait-il atteint l’âge fixé qu’il sollicita vivement son admission parmi les congréganistes; et le jour où on le reçut fut, après sa première communion, le plus beau de sa vie. Dès ce moment, il se regarda comme l’enfant de Notre-Dame de Bonne-Espérance, il ne laissa passer aucune occasion de lui témoigner son amour, et sans doute il fut redevable à cette toute-puissante protectrice de plusieurs bienfaits signalés. Sans parler des grâces spirituelles qu’il en obtint, on a lieu de croire que c’est à la Reine des Cieux, à Notre-Dame de Bonne-Espérance qu’il dut une des plus grandes des grâces, la grâce de la vocation religieuse.
Croissez donc, jeune enfant, croissez sans cesse en vertu, c’est la voie qui vous conduira aux cieux.
Louis Bronchain demeura six ans dans cet asile béni. Il était le jeune saint du séminaire. Ses maîtres l’estimaient et l’affectionnaient. Ces condisciples ne pouvaient se défendre à son égard d’une sorte de respect. En sa présence, nul n’aurait osé tenir des propos légers ou méchants. Et si parfois quelque jeune étourdi dépassait tant soit peu les bornes de la réserve, un regard sévère, ou même un reproche amical, mais énergique de Louis, arrêtait la parole sur les lèvres de l’imprudent. Ou il se taisait aussitôt, ou il s’éloignait.
Cependant, un peu de singularité dans les manières, un maintien toujours modeste, ne trouvèrent pas toujours grâce auprès de certains élèves plus légers que méchants, et il fut quelquefois le jouet de leurs malices. Un jour quelques-uns de ces jeunes gens se mirent en tête de le molester. Que firent-ils ? A l’insu du surveillant, ils se glissèrent à pas de loup sous les bancs, pendant l’étude du soir, lui tirèrent les habits, qui à droite, qui à gauche. Mais le jeune étudiant, loin de s’irriter de leur manière d’agir et de faire ses plaintes à qui de droit, se contente de les regarder avec ce doux sourire qui désarme sur-le-champ ces jeunes espiègles et les fait immédiatement rentrer dans l’ordre.
En agissant de la sorte, Louis eut bientôt autant d’amis qu’il avait de compagnons de classe et de jeu. Très volontiers il mettait au service de tous et de chacun ses lumières. C’est à lui, disait un de ses condisciples, que je dois ma persévérance dans mes études. Il avait une façon charmante d’accueillir les nouveaux. Ayant appris l’arrivée d’un jeune élève, il n’avait pu se contenir, et, muni de l’autorisation du surveillant, il avait brusquement quitté l’étude pour lui offrir ses services.
“Cet acte d’exquise fraternité chez un jeune étudiant, ajoute cet élève devenu prêtre d’un grand mérite, fit sur moi l’impression la plus vive, et, après bon nombre d’années, je m’en souvenais encore comme si c’était d’hier.”
Mais sa charité allait encore plus loin. Pendant les vacances, pour soulager son cher conseiller, M. l’abbé Mangin, Louis apprenait aux jeunes borains le catéchisme, les prières, l’histoire sainte. C’est ainsi que notre vertueux enfant préludait par ce zèle à ce qu’il fera un jour dans l’Institut de Saint-Alphonse.
Nous avons vécu avec ce jeune homme privilégié, disait un de ses condisciples : quel recueillement dans ses prières ! quelle modestie dans son maintien ! quelle douceur pour ses condisciples ! quelle docilité envers ses maîtres ! quel respect pour le règlement ! quelle assiduité à l’étude ! Qu’il était édifiant surtout de le voir au moment de la communion ! Son visage alors était tout en feu, il paraissait transporté hors de lui-même et comme abîmé en Dieu.
Nous connaissons tous la parole divine écrite au saint Livre : “Celui qui trouve un ami fidèle trouve un trésor (Eccl., VI, 14.).” C’est en effet un des grands bienfaits de Dieu. Surtout si cet ami est un sage, si à la bonté du coeur il joint la prudence dans le conseil. Ainsi l’antiquité païenne donnait des précepteurs à ses héros : Phénix à Achille, Mentor à Télémaque; ainsi l’antiquité chrétienne en a donné à ses saints: Paul à Timothée, Ambroise à Augustin.
Louis avait rencontré cet ami, ce protecteur bienveillant, ce directeur de son âme, dans la personne de M. Michez, professeur et plus tard doyen de Sainte-Waudru, à Mons.
Le jeune étudiant avait compris que sans direction il n’y avait pas possibilité de progresser dans le chemin de la vertu.
“Il n’y a pas, disait-il souvent, d’horloge si parfaite qui, de temps en temps, n’ait besoin d’être visitée, nettoyée, remontée; car, autrement, à la longue, la poussière s’y amasse, et finalement le mouvement s’arrête. Ainsi de notre âme. Au bout de quelques jours ou de quelques semaines les rouages s’encrassent de négligences, les ressorts se détendent; la piété, le travail, rien ne marche plus. Voilà pourquoi, on a besoin d’un horloger.”
Mais pour être dirigé d’une manière efficace, il faut avoir certaines dispositions. Trois surtout. De l’humilité d’abord : puisque le directeur doit éclairer sur les défauts, il faudra les reconnaître. Du courage ensuite : puisqu’il doit guider au chemin de la vertu : il faudra y marcher. De la confiance : puisqu’il doit consoler et conseiller, il faudra l’ouverture de coeur. Le jeune Bronchain avait-il ces dispositions ? Ecoutons son directeur de conscience:
“Je ne trouve dans la conduite de Louis Bronchain, qu’une suite ininterrompue de piété, d’aménité de caractère, de charité, d’apostolat exercé sur un groupe nombreux d’étudiants dont il était l’âme. – Tenez, prenez votre bréviaire, lisez la légende de saint Jean Berchmans; à la place de ce nom, mettez Louis Bronchain et vous aurez sa vie.”
Quel éloge dans la bouche de son directeur ! Dans les laures de la Thébaïde les solitaires d’Orient révélaient à l’abbé du monastère jusqu’à leurs secrètes pensées; l’étudiant de Bonne-Espérance n’avait rien de caché pour son directeur. Son âme était pour lui comme une de ces belles et claires fontaines, d’un cristal si limpide qu’on distingue au travers les plus petits grains de sable.

c) – La vocation

L’heure allait bientôt sonner pour notre jeune Louis de dire adieu au Séminaire, qui avait abrité les années de son adolescence.
Ses études finies, avec des succès toujours plus accentuées d’année en année, c’était le moment de décider pour une carrière. Magnifiquement doué comme il était, il pouvait prétendre aux plus honorables situations. Tout lui souriait : tout se réunissait pour lui promettre ce que le monde appelle un brillant avenir.
Mais Dieu avait marqué ailleurs que dans le monde la place de cette âme prédestinée. Déjà, il avait parlé au coeur du jeune homme.
Il y avait à Saint-Trond un humble et pauvre couvent. C’était le couvent des Rédemptoristes, fils de saint Alphonse de Liguori.
Arrêtons-nous un instant à la porte de ce monastère et demandons-nous quels sont ces religieux qui l’habitent. La description d’un ordre religieux, de ses règles, de son esprit, dit le R. P. Desurmont, a de quoi tenter les hommes sérieux.
L’amour des pauvres a fait naître la congrégation du Très Saint-Rédempteur. Son fondateur en a conçu l’idée au milieu de montagnes sauvages, parmi les chaumières des pâtres de Scala. Tout en elle, comme on le verra, se ressent de cette humble origine. Commencée en 1732, elle fut trente-deux ans à se former tout à fait. Alphonse employa tout ce temps à méditer sa règle. Mais ce long travail n’enleva rien à l’Institut de sa première physionomie simple et modeste.
C’est une compagnie de religieux missionnaires spécialement dévoués au salut des âmes les plus abandonnés. Ces âmes abandonnées sont, d’après saint Alphonse, toujours reléguées dans les basses classes de la société; par conséquent, l’emploi principal du rédemptoriste est d’évangéliser les pauvres. Toutefois ce dévouement pour le menu peuple n’a pas pour conséquence, comme on pourrait le penser, l’exclusion des autres classes. Au contraire, il entre dans l’esprit de ces religieux d’accueillir indistinctement tous les fidèles; et leurs auditoires naturels sont composés, non pas de la classe pauvre seule, encore moins de la haute classe séparée, mais du mélange des deux. Ce mélange parfait constitue ce que l’on peut appeler le peuple.
Quant aux retraites, les Rédemptoristes les prêchent à toutes les corporations chrétiennes, notamment aux communautés religieuses, dans les séminaires, les collèges et pensionnats, au clergé et aux ordinands.
Le noviciat dans l’Institut dure une année; les études ecclésiastiques six ans. Au sortir du scolasticat, les jeunes gens sont soumis, pendant six mois, à un second noviciat, qui les prépare sérieusement et prochainement au ministère apostolique.
Tel est , en abrégé, le tableau de la congrégation du Très Saint-Rédempteur.
Une profonde sympathie attirait le jeune Bronchain vers ces religieux qu’ils connaissait par les différentes retraites données à Bonne-Espérance.
Son parti fut bientôt pris. Un jour, il déclara très respectueusement à ses parents qu’il ne se sentait nulle inclination pour le monde, et que Dieu l’appelait à être religieux rédemptoriste.
Les parents de Louis Bronchain, bien que peu fortunés, n’eurent garde de mettre obstacle à l’esprit de Dieu qui soufflait sur leur fils. Sa pieuse mère bénissait le Seigneur qui daignait choisir un des siens et le placer parmi ses serviteurs privilégiés. Les familles chrétiennes sont des tiges destinées à produire des Saints. Gardée à travers les générations, la sève évangélique s’épanouit de temps en temps en certaines individualités privilégiées, honneur de toute la race.
La famille de Louis Bronchain tira certes plus de gloire de la vocation de cet enfant que des charges honorables auxquelles il eût pu parvenir dans le siècle. Elle compte un homme de Dieu qui a fait l’honneur de son siècle et de sa Congrégation et dont la mémoire sera éternelle.
L’étudiant de Bonne-Espérance entra au noviciat avec le calme et la simplicité qu’il apportait aux actes les plus ordinaires de la vie. C’est à la date du 15 octobre 1850 qu’il prenait les livrées des enfants de saint Alphonse pour commercer une vie de prières, de pénitences et d’abnégation qu’il devait continuer jusqu’aux derniers jours de sa vie mortelle.

CHAPITRE II

LE RELIGIEUX REDEMPTORISTE

a) Le Noviciat – b) L’Etudiant – c) Le Prêtre

Qui fecerit et docuerit, hic magnus vocabitur in regno cœlorum (Matth., v, 19)
Celui qui aura accompli et enseigné tout ce que demande la loi, sera grand dans le royaume des cieux.

a) – Le Novice

Si nous avons justement crayonné le portrait de ce jeune homme de 21 ans à peine – petit – les cheveux noirs, – le regard doux, – les lèvres souriantes et, par-dessus tout, humble, modeste, attirant, Louis doit déjà nous apparaître dans la lumineuse beauté de la vertu. Candeur et douceur, tendresse et force, humilité profonde, oubli de soi-même, besoin joyeux et toujours croissant de donner, de tout donner et son temps et sa peine, sa santé et son âme, voilà les traits saillants de cette physionomie virginale et virile. Le noviciat ne fera guère qu’en accuser le relief.
Ce que c’est que le noviciat, Louis Bronchain ne tarda pas à le comprendre.
C’est un temps de préparation, la préparation d’un holocauste. Quand un postulant frappe à la porte d’une cellule, il demande à s’immoler.
La vie religieuse est un sacrifice perpétuel.
Le prédicateur de la retraite préparatoire à la prise d’habit mit dans ses paroles toute son âme, une âme d’une onction pénétrante et d’une suavité sainte.
La retraite devait se clore par la prise d’habit. A coup sûr, tous les postulants avaient hâte de revêtir les livrées des enfants de Saint Alphonse. Louis était plus impatient que personne. Il lui tardait d’être offert à Dieu et de commencer, pour ainsi dire officiellement, les actes de purification totale sans lesquels l’holocauste ne serait point agréé.
L’atmosphère du noviciat de Saint-Trond dut singulièrement plaire à celui que nous nommerons désormais le Frère Bronchain.
La charité la plus sincère règne en effet dans une maison religieuse; grâce au recueillement continuel dont on y jouit, l’âme se fixe en Dieu avec délices, et le zèle des âmes s’allume avec d’autant plus d’ardeur qu’on en étudie avec soin la pratique dans la conduite des saints.
Le Révérend Père Reyners, maître des novices, reconnut bientôt dans son novice un jeune homme aussi humble que fermement décidé. Sous le voile de la candeur qui n’avait rien de caché pour ses supérieurs, il découvrit une âme ardente, un coeur d’une droiture absolue, une simplicité vraie qui allait droit au but. Le Frère Bronchain ne se croyait pas d’ailleurs sans défaut. Comme dans les commencements, sa piété avait quelque chose de raide, de trop tendu, il accepta docilement tous les avis et ne laissa tomber par terre aucune des recommandations de ses supérieurs.
De leur côté, les novices admirèrent l’humilité du nouveau venu.
Ecoutons le rapport de l’un d’entre eux :
“Pendant son noviciat le Frère Bronchain fut un modèle de régularité parfaite. Son esprit de prière et de mortification ne se démentit jamais. Pendant l’oraison, il restait immobile comme un tronc d’arbre, les mains sur le bord du banc; c’était là, du reste, son attitude constante à l’oratoire, où il passait le plus de temps possible.”
Comme un jeune arbrisseau planté le long d’une onde pure, il produisait déjà des fruits abondants.
Ce qui le distingua surtout, ce furent sa modestie, son recueillement, sa discrétion et sa prudence, ses conversations pleines de douceur et de charité. Il avait le coeur bon et généreux, et il savait dire gaîment son mot pour récréer la petite Communauté.
Dieu sait pourtant tout ce que cette vie de recueillement continuel, de vigilance sur soi-même, entraîne de sacrifice et de renoncement. Dieu sait combien surtout sont pénibles les minuties et les mille petites observances du noviciat, pour ne rien dire des pénitences publiques et privées, des disciplines, des abstinences, des actes d’humilité et d’obéissance qu’il faut pratiquer chaque jour et qu’il faudra pratiquer toute sa vie.
L’esprit de sacrifice, l’abnégation de la volonté, l’amour de la croix à l’imitation de Jésus crucifié; telles sont les vertus du vrai rédemptoriste.
Rien n’est beau comme ces âmes de quinze à vingt ans, ces âmes vierges qui, volontairement, joyeusement, s’immolent.
Quelle suave odeur devant Dieu s’exhale du sacrifice, et, sur le front de ces vicitimes, aux hommes qui ont des yeux pour voir, quelle transparence ! elle vient de l’âme; quel rayonnement ! il vient de Dieu !
“Quelle douce et délicieuse année ! écrit un co-novice du Frère Bronchain ! Tout semblait fait pour nous rendre heureux. Un pays magnifique, un jardin délicieux, une belle réunion de jeunes gens pleins d’ardeur, de piété et de vie, une direction douce et paternelle, les fréquentes visites et les intéressantes conférences du Père Maître et du Père assistant. Naturellement nous eûmes à un très fort degré la maladie habituelle de tous les noviciats; une gaîté qui se traduit par des éclats de rires involontaires aux moments les plus inattendus et les plus sérieux.
“Le Frère Bronchain, qui ne connut jamais la dissipation, mais qui faisait de grands efforts pour être recueilli, échappa moins que personne à la contagion du rire et bien des scènes de lectures spirituelles à la salle commune et au réfectoire, sont restées fameuses dans les chroniques du couvent. Heureux temps où l’on sait rire de si bon coeur !”
Que dirons-nous du noviciat du Frère Bronchain, sinon que les journées en furent pleines jusqu’au bord, comme cette mesure dont il est parlé dans l’Evangile; pleines de bonnes pensées, de bonnes paroles, de pieux sentiments et d’actions saintes. C’était la vivante image d’une âme tout entière abandonnée aux touches les plus délicates de la grâce.
Ce fut le 15 octobre, fête de sainte Thérèse, que Louis Bronchain se consacra irrévocablement à Jésus-Christ, à sa sainte Mère et à la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur.
Faut-il essayer de pénétrer dans son âme en ce jour béni ? Les saints apportent aux grands jours de leur vie des sentiments admirables. Qui pourrait décrire les transports de notre vertueux novice en cette cérémonie touchante, où, prosterné au pied des autels, la main sur l’Evangile, en présence de toute la communauté, il fit les voeux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté, ainsi que le voeu et le serment de persévérance ? Lui-même va nous le dire : “Je crus, au moment où j’émettais les voeux, recevoir de la main paternelle la grâce de tendre de jour en jour au plus parfait.”
Ce n’est pas sans regret qu’au lendemain de sa profession religieuse, le Révérend Frère Bronchain quittait Saint-Trond pour se rendre à Wittem (Limbourg hollandais) où se trouvait alors la maison d’études des Pères Rédemptoristes. Le voyage se fit pieusement et gaiement en compagnie de plusieurs de ses confrères.
Le 16 octobre, notre néo-profès était accueilli avec joie et à bras ouverts par tous les membres de la communauté de Wittem; c’était un enfant de plus dans la famille religieuse de Saint-Alphonse.

b) – L’Etudiant Rédemptoriste

Le Révérend Frère Bronchain paraissait heureux de se trouver au milieu de ses nouveaux Frères en Jésus-Christ. Il goûtait une fois de plus la vérité de ces paroles qu’il avait entendu chanter avec tant d’entrain à la cérémonie de sa profession religieuse : Oh ! qu’il est bon, qu’il est délicieux pour des Frères, de vivre bien unis et d’habiter ensemble ! “Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum !”
A la tête de la maison d’études se trouvait un Père d’une piété et d’une érudition peu communes. C’était le R.P. Konings à qui la science sacrée doit un traité de théologie morale devenu classique dans les collèges américains. Tel était le préfet des études sous la direction supérieure duquel passait le R.F. Bronchain. Il reconnut dans son nouveau sujet une âme d’élite.
Wittem fut pour l’étudiant come une prolongation du noviciat. La seule différence est qu’au lieu de vaquer uniquement aux exercices de la vie contemplative, il mena de front l’étude et le recueillement. “Soli Deo et studiis” : tout à Dieu et aux nobles labeurs intellectuels, telle était sa devise, recommandée par la règle aux scholastiques de la Congrégation.
Là il perfectionna ce goût délicat pour les oeuvres de l’esprit qu’on avait déjà remarqué en lui et ce style clair, pur et nerveux qu’il fit paraître dans ses nombreux écrits ascétiques.
Mais son ardeur pour l’étude ne diminua rien de celle de sa piété. Celle-ci, au contraire, contribuait puissamment à accroître celle-là. A cette période se rapporte, sans doute, un aveu qui lui échappa plus tard, et qui a été soigneusement recueilli. Un jour, dans une promenade, il lui arriva de dire à un de ses confrères : “J’ai connu un religieux à qui, après trois ans seulement passés dans l’Institut, on permit de s’engager par voeu à faire toujours ce qu’il croirait le plus parfait.” Le confident comprit que, sans le vouloir, le Révérend Frère Bronchain, s’était trahi, avait laissé échapper son secret par surprise, et que le religieux en question, c’était lui.
Ainsi ce jeune religieux à peine sorti du noviciat, avait eu le courage et avait été jugé capable de prendre sur soi le redoutable fardeau d’un voeu presque analogue à celui de son saint Fondateur.
Saint Alphonse avait fait le voeu, sous peine de péché mortel, de ne jamais perdre une minute de temps.
A Wittem, le Frère Bronchain se trouvait dans son élément. Il allait, bien que malade, commencer ses études théologiques. Une science qui ne lui parlait que de Dieu convenait également à son esprit et à son coeur. Il se plongea avec une douceur infinie dans ces sources de l’Ecriture Sainte et des Saints Pères, où sa piété rencontrait tout ce dont elle avait une soif inextinguible. Mieux connaître, mieux aimer Jésus-Christ, c’était sa passion unique, et ses études, loin de l’en distraire, lui permettaient de la satisfaire plus pleinement.
Aussi avança-t-il à pas de géants dans la science des saints aussi bien que dans les hautes études. Et la cause de ces progrès ? C’est que le Frère Bronchain accomplissait à la lettre les règles tracées par saint Alphonse.
“Avant tout, est-il dit, que nos jeunes gens s’efforcent, dans tout le cours de leurs études, de ne pas perdre le peu de recueillement acquis au noviciat, mais plutôt avec le secours de la grâce divine qu’ils tâchent de l’augmenter encore.”
Jésus discutant dans le temple au milieu des docteurs, doit être leur modèle et le miroir de toutes leurs actions. Son humilité, sa pureté d’intention, sa manière de disputer, suave, affable et pleine de respect, doivent être l’objet de leur imitation.
Toutes ces vertus, cette sagesse précoce, ces qualités maîtresses qui siéent si bien au prêtre et au religieux, dénotaient dans le jeune Bronchain une belle âme, un caractère ferme et généreux, en un mot l’homme de Dieu, “Homo Dei.”
Aussi ses supérieurs n’hésitèrent pas à l’admettre à la prêtrise.

c) – Le prêtre

Mais le moment était venu où, après quelques années de préparation, le F. Bron-chain atteignait le but auquel il aspirait de toute la véhémence de son amour; monter au saint autel. Il redoublait de ferveur, d’austérité pour lui-même, de charité pour ses frères, de fidélité à tous ses devoirs, comme pour thésauriser plus de mérites, accumuler plus de vertus et pouvoir ainsi se sentir plus près de Dieu, dont il allait devenir le ministre.
Cette dignité sublime que son amour ambitionnait, son humilité la lui faisait envisager avec un saint effroi. Plus, en effet, on vit dans le voisinage de Dieu, plus on est pénétré du sentiment de sa majesté souveraine et des exigences de son infinie sainteté. Toutefois la décision de ses supérieurs ne laissait place à aucune incertitude.
Il reçut donc l’onction sacerdotale des mains de Mgr. Montpellier, évêque de Liège, le 6 juin 1857. Dès le lendemain, il célébra sa première messe.
Nous n’essayerons pas de soulever le voile dont il a jalousement recouvert ce qui se passa alors en son âme.
Ce que l’on put observer dès lors, ce fut le soin scrupuleux avec lequel il se préparait à monter chaque jour au saint autel.
Aussi, rien d’édifiant comme la manière dont il célébrait. Rien d’affecté, rien qui attirât l’attention, mais tout respirait la foi la plus vive et la piété la plus tendre.
Bien des personnes venaient assister à sa messe, seulement pour être témoins de ce spectacle qui les remplissait de pieuses ardeurs et fortifiait leur foi en la divine présence.
Il en était de même du saint office. Bien qu’il n’y apportât aucun scrupule, il se regardait, quand il le récitait, comme l’organe officiel de la Sainte Eglise auprès du trône de Dieu. Pénétré de la grandeur d’une fonction si sainte, il s’efforçait de s’élever jusqu’à ce niveau sublime.
Loin de se plaindre de la longueur des heures canoniales, il disait souvent : “Je n’ai jamais plus de temps que lorsque j’ai bien récité mon bréviaire.”
A partir de son ordination, le Frère Bronchain reçut le nom de Père. Par la vertu de l’onction sainte, il en reçut non seulement le nom, mais tous les sentiments : l’amour, le dévouement, la tendresse d’un vrai père des âmes. A partir de cet heureux moment, le feu de la charité et du zèle s’alluma de plus en plus dans son coeur. Fait enfant de Saint-Alphonse, disciple du Très-Saint-Rédempteur, il brûlait du désir de marcher sur les traces de son Père et de son Maître en se dévouant au salut des âmes.
En cette qualité, ses supérieurs l’attachèrent au couvent de Dunkerque où il arriva le 5 septembre 1857.

CHAPITRE III

LE MISSIONNAIRE REDEMPTORISTE
A DUNKERQUE

Requiescet super eum spiritus Domini;
spiritus sapientiae et intellectus; spiritus
consilii et fortitudinis, spriritus scientiae et
pietatis; et replebit eum spiritus timoris
Domini. (Isaie, XI, 2.)
L’esprit du Seigneur reposera sur lui,
l’esprit de sagesse et d’intelligence, l’esprit
de conseil et de force; l’esprit de
science et de piété; et il sera rempli
de l’esprit de la crainte du Seigneur.

Ce fut une vraie satisfaction pour le R. P. Bronchain de se voir incorporé à la communauté de Dunkerque. Il y vint l’âme parée de toutes les vertus et toute brûlante des ardeurs de l’Esprit-Saint. Là, il retrouvait comme supérieur l’éminent Père Jean Kockerols, son co-novice et d’autres Pères qui l’avaient connu et au noviciat et aux études.
Religieux de piété et de science, le R. P. Kockerols avait toujours fort apprécié la vertu et l’esprit intérieur de son jeune confrère; aussi son estime et sa confiance furent sans limite. Le R. P. Bronchain fit tous ses efforts pour s’en rendre digne.
Au début de sa carrière apostolique, il ne chercha à se distinguer des autres que par l’humilité, le désir de la vie cachée et la ferveur dans le service de Dieu. Sa jeunesse et surtout sa frêle et délicate santé ne lui permirent pas, à cette époque, de prendre part à de grands travaux; mais il était occupé au ministère intérieur du monastère par le confessional et la prédication très fréquente dans notre église. Le R. P. Recteur admirait sa manière de prêcher. “C’était, disait-il, la perfection du genre conférencier, clair, simple, populaire et solide.”
En effet, les instructions du jeune missionnaire étaient bien préparées et bien apprises. Homme de science et de doctrine, il nourrissait ses sermons, ses instructions et ses méditations de la substance des Ecritures, des Pères de l’Eglise et des meilleurs auteurs ascétiques; il prêchait posément, mais avec onction; aussi, a-t-on écrit avec raison de sa manière de prêcher, “Toute analyse des paroles du
R. P. Bronchain ne donne qu’une fleur décolorée et flétrie; il fallait l’entendre pour ressentir l’onction et la force de sa parole.”
Cette judicieuse appréciation nous rappelle certain jugement de saint Alphonse lui-même qui trouve ici sa place.
“Il faut, disait le saint docteur, donner au peuple le temps de saisir, de pénétrer, et pour ainsi dire de ruminer à son aise ce qu’il entend. Les eaux qui se précipitent avec impétuosité ne pénètrent pas la terre comme la pluie qui tombe doucement. Le peuple retire plus de fruit d’un sermon prêché posément que de cent autres débités avec précipitation et dont le prédicateur seul peut suivre le sens.”
Le R. P. Bronchain se montra aussi digne fils d’Alphonse par le zèle qu’il témoigna pour le ministère du confessionnal. Il avait reçu de Dieu un don particulier pour ce genre d’apostolat. Sa bonté ne le fit jamais transiger avec les vrais principes; s’il savait attendre, il savait aussi être exigeant et cette douceur pleine de fermeté surmonta bien des obstacles.
“Il faut, écrit saint Alphonse, montrer de l’aversion pour le péché, mais témoigner aussi de la douceur et une grande charité pour le pécheur. Une parole énergique est parfois nécessaire pour lui faire comprendre la gravité du péché; mais que cette parole énergique ne soit pas rebutante; et, avant que le pécheur se retire, qu’on n’oublie pas de le calmer par quelques mots affectueux, pour qu’il puisse en même temps être rempli de haine pour le péché et avoir pleine confiance dans le confesseur pour lui découvrir ses plaies.”
Telle fut toujours la conduite du R. P. Bronchain au saint tribunal de la pénitence.
Un religieux de cette trempe ne pouvait rester enfoui dans l’ombre. Il va nous être donné de ressaisir et de contempler le chef-d’oeuvre que Dieu avait préparé derrière le nuage de ce Sinaï d’amour où son serviteur semblait, comme autrefois Moïse, avoir entièrement disparu. Ses ministères vont nous le rendre visible.

CHAPITRE IV

LE MAITRE DES NOVICES

Attendite ad petram unde excisi estis, et
ad cavernam laci de qua praecisi estis. At-
tendite ad Abraham patrem vestrum.
(ISAIE, LI, 1.)
Rappelez dans votre esprit cette
roche d’où vous avez été taillées, et cette
carrière profonde d’où vous avez été tirés.
Jetez les yeux sur votre père.

Désormais plus de repos pour le R. P. Bronchain. Il allait plus donner que recevoir, travailler sans jamais s’épargner, appartenir aux âmes plus qu’à soi-même. Il avait une formule qu’un saint religieux avait pris avant lui, formule en laquelle se résumerait le reste de sa vie : “Un rédemptoriste est un homme qui, par amour de Dieu et des âmes, se sacrifie aux dépens de sa santé et de sa vie.”
Dans le courant de mai, année 1865, un ordre de son Provincial le créait Maître des novices. Le R. P. Thielen qu’il remplaçait devenait recteur du couvent de la Madeleine, à Bruxelles.
Cette période si importante, et qui eut sur son existence une influence si décisive, réclame une étude plus approfondie.
Le noviciat, en effet, est à la vie religieuse ce que l’éducation première est toute à la carrière de l’homme. La moisson ne saurait être abondante là où les semailles ont été médiocres. L’édifice ne peut être plus large que les fondations. L’avenir, non seulement de chaque religieux, mais de l’institut tout entier est entre les mains du Maître des novices.
Aussi pour le bien de la Congrégation, le R. P. Bronchain comprit que l’éducation des novices devait être plus que jamais vigoureuse et mâle, avec l’onction de l’amour et de la charité.
Au milieu des circonstances où nous vivons, disait-il, quand la barque est si violemment battue par la tempête, il nous faut des esprits droits et fermes, des coeurs généreux, des hommes, viri, des courages, strenui, comme saint Alphonse l’entendait et l’écrivait. Aussi de petites piétés, de faibles dévotions, une idée inférieure de la perfection à acquérir et des combats à livrer, ce sont là des dispositions qu’il faut énergiquement écarter. Mieux vaut n’avoir qu’un novice, s’il est vraiment ferme et dévoué, que d’en avoir une trentaine de peu capables et de trempe médiocre.
Conformément à ces aperçus si sages, le R. P. Bronchain ouvrit le cours de ses instructions, par une sorte de discours-programme qui se résume dans ces deux mots empruntés au livre de la Sagesse : “Fortiter et suaviter.” Pour lui ces deux mots signifiaient : poursuivre avec rigueur la réforme de soi-même, s’acharner à la conquête de la perfection, en sacrifiant à ce suprême intérêt tous les autres, mais cela avec un élan spontané de la volonté, non par contrainte, mais par amour. Il y a quelque chose qui persuade plus efficacement que dans les discours, ce sont les oeuvres.
Le grand Condé, à Fribourg, lançant son bâton de maréchal par-dessus les retranchements de l’ennemi et provoquant ses soldats à l’aller chercher, les électrisait bien plus que s’il leur eût adressé la plus chaude des harangues militaires. Mais se jeter soi-même en avant, c’est faire cent fois davantage. C’est montrer que l’action est possible; c’est faire voir que le sacrifice est moins douloureux qu’effrayant; c’est exciter une émulation généreuse et faire vibrer les plus nobles et les plus puissants ressorts de l’âme.
Aussi le R. P. Bronchain aiguillonnait ses novices, moins par sa parole que par ses exemples. Il ne leur prescrivait rien qu’il ne fit lui-même le premier, et bien au delà. Il marchait partout en tête de sa troupe, et le Maître des novices n’était que le premier d’entre eux.
Jamais une mère jalouse du bien et de la gloire de ses enfants ne poussa la sollicitude et le dévouement plus loin que ne le fit le R. P. Bronchain. La prière est le premier devoir du supérieur; elle est aussi le premier devoir du religieux. Homme d'oraison, il s’efforça d’unculquer à ses novices l’amour et en quelque sorte le besoin de la prière; il leur donnait à la fois le précepte et l’exemple.
On le vit toujours devancer le lever de la communauté et prolonger ses veilles, afin de s’entretenir plus librement avec Jésus-Hostie. Etait-il donc suavement attiré à l’oraison ? Y goûtait-il des délices spirituelles ? Il dira plus tard, pour la consolation d’une âme affligée, qu’il était en proie à de continuelles sécheresses, qu’il allait à Dieu, par les seules lumières de la foi, et pressé du seul désir de plaire à Dieu.
Tout le monde connaît les saintes rigueurs qu’il exerça contre son corps débile.
Il portait habituellement autour des bras et des reins, des chaînettes de fer hérissées de pointes très aiguës; le R. P. Bronchain mangeait si peu qu’on se demandait comment il pouvait vivre.
Après quatre heures et demie d’oraison, il prenait son maigre déjeuner composé de deux ou trois croûtes sèches détrempées dans une demi tasse de lait; et à certains jours surtout les vendredis, la pâleur de son visage, la raideur de tout son corps, la difficulté même avec laquelle il fléchissait le genou devant l’adorable Sacrement de nos autels, indiquaient assez qu’à l’abstinence, il ajoutait de plus sensibles tortures; il était, sans doute, bardé de fer.
La mortification continuelle en toute chose semblait être sa vie. On l’eût dit passionné pour l’abnégation totale de la nature. Sa parole lente et anémiée, devenait étrangement vivante, dès qu’il traitait de l’abnégation.
Un homme si dur à lui-même avait à l’endroit des autres de telles délicatesses de charité, qu’on en trouve rarement d’égales. S’il mangeait fort peu, il veillait à ce que les novices ne l’imitassent pas sur ce point, au détriment de leur santé. Rien à cet égard ne lui échappait malgré sa parfaite modestie. “Chose étrange ! disait un novice, j’ai toujours les yeux grands ouverts, et je ne sais pas remarquer ce qui manque à mon voisin, et le Révérend Père Maître, au contraire, voit, les yeux baissés, ce qui manque à ses frères assis loin de lui.”
On ne saurait exprimer ce qu’il eut de charité dévouée pour les malades; on le vit prodiguer les soins, rendre les services les plus répugnants et cela avec une sollicitude et une délicatesse de mère, à un novice cloué sur un lit de douleurs.
Le R. P. Bronchain aimait dans ses actes de religion, à l’exemple du vénérable Père Passerat, à donner à son corps une posture suppliante. Quand il était obligé de parcourir la maison pour les devoirs de sa charge, c’était toujours en priant. Ou bien il avait le chapelet à la main, ou bien il se livrait sans interruption à l’abondance de ses oraisons jaculatoires. Sa bouche était comme une fournaise ardente d’où s’échappaient à chaque instant de brûlantes affections. Un ensemble si beau de vertus, devait nécessairement rendre le R. P. Bronchain puissant sur ses novices. Ce qui arriva en effet. Il devint comme le roi des âmes confiées à ses soins et l’on peut dire qu’il réalisa dans toute sa perfection le précepte de la règle qui veut que le supérieur ait tous les coeurs de ses sujets renfermés dans le sien. Un tel Père Maître pouvait prêcher la vertu à ses novices.
Ce qu’il s’efforçait surtout à leur inculquer, c’était l’humilité, fondement de l’édifice de la perfection. Aussi faisait-il une guerre implacable à ce fond d’orgueil qui se trouve dans toute na- ture humaine, et, pour obtenir un résultat durable, il ne ménageait pas à ses novices les occasions et de s’humilier et de les humilier.
Il disait que l’excès de cette vertu n’était guère à craindre. Pour les engager dans cette voie de la véritable perfection, il appuyait ses paroles sur celles du Divin Maître : “Si vous ne devenez semblables à de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.”
Remarquez, disait-il, la force de ce si : ce sont les mêmes expressions que Notre-Seigneur emploie pour nous montrer la nécessité du baptême. C’est donc une condition sine qua non pour entrer dans le séjour des élus.
Aussi avec de tels exemples et de tels enseignements, les novices volaient dans les voies de la perfection.
En parcourant la liste de ceux qui composaient les différents noviciats, on remarque les noms de treize religieux qui furent placés à la tête de plusieurs couvents de l’Institut. Un grand nombre de missionnaires sont partis de Saint-Trond et d’autres maisons pour les Etats-Unis, le Canada et le Brésil.
C’est ainsi que Dieu récompensait par ses bénédictions les vertus pratiquées et par le Maître et par ses brillants élèves. Le bien-aimé Père Bronchain, après huit ans d’un paisible séjour au noviciat de Saint-Trond, fut transféré à la maison de Tournai.
Son zèle eut un autre théâtre très utile aux âmes et à la gloire divine, le saint Tribunal. Nous avons maintenant à l’y étudier. Le mystère l’y enveloppe plus qu’ailleurs, et toutefois le peu qui perce ces ombres impénétrables est encore digne d’être admiré.


CHAPITRE V
LE DIRECTEUR EMINENT (1870-1892)

Ignem veni mittere in terram, et quid
volo nisi ut accendatur (Luc, XII, 49)
Je suis venu jeter le feu sur la terre,
et que désiré-je, sinon qu’il s’embrase !

Le R. P. Bronchain épuisé de fatigues, de veilles et de mortifications, quitta le noviciat de Saint-Trond pour se rendre au monastère de Tournai. Là il dut, pendant vingt-deux ans, traîner une vie languissante, en priant, en travaillant, en édifiant ses confrères et les fidèles par son invincible courage, son observance régulière, sa bonté, sa douceur, son humilité et sa charité.
Le couvent de Tournai, situé quai Notre-Dame, est très prisé dans la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur. Depuis sa fondation, il compta toujours des religieux d’une vertu éprouvée.
Le vénérable Père Passerat, une des gloires de l’Institut de Saint-Alphonse, y passa huit ans dans la pratique des plus illustres vertus. Les noms des Pères Jean-Marie, Lafleur, Fontaine, Colpin, Ernotte, Dujardin, Huchant, Paul Reyners, De Fooz, Saintrain, Desprez, etc., etc., rappellent des religieux dont le souvenir restera en vénération.
Le R. P. Bronchain devait ajouter un nouveau fleuron à cette couronne de vaillants champions de la foi et de la vertu.
Nous allons l’étudier dans l’exercice d’une fonction qui regarde plus particulièrement le salut des âmes, c’est-à-dire, la direction des consciences au tribunal de la pénitence.
La direction se définit simplement l’art de conduire les âmes à Dieu, “art des arts,” comme dit saint Grégoire le Grand. Or, sa première règle, on pourrait dire son unique loi, mais diversifiée à l’infini dans l’application, c’est de discerner quelle est la voie particulière dans laquelle le Saint-Esprit, Sanctificateur par excellence, a le dessein de faire avancer telle ou telle âme.
Car de même que, selon le langage de l’Ecriture, “chaque étoile diffère des autres étoiles (I Cor., XV, 41.),” et que toutes ne suivent pas la même trajectoire à travers l’espace; de même que la variété de leur éclat et la différence de leurs orbites contribuent à la beauté et à l’indicible harmonie de ce concert silencieux des astres, ainsi les âmes, diverses en vertus, en mérites, en manières de progresser, forment, par la direction qui leur est donnée, un ensemble qui réalise l’idéal de la beauté surnaturelle. C’est comme une immense symphonie dont Jésus-Christ est le chorège, dont chaque directeur maintient l’accord, dont chaque âme exécute la partie qui lui est confiée par l’Esprit-Saint.
L’Esprit-Saint, voilà le guide unique; le directeur n’est que son instrument. D’où il résulte que pour exceller en son art il faut qu’il s’en tienne intimement uni avec le Saint-Esprit, comme l’outil s’adapte parfaitement à la main de l’ouvrier. Le savoir-faire humain n’y pourrait suffire; il y faut la lumière et l’impulsion d’en haut.
Ce que nous avons déjà dit de l’intime union du R. P. Bronchain avec Dieu nous permet de deviner qu’il fut un éminent directeur. Sa doctrine spirituelle (l’esprit de foi et de prière), prenait dans l’application cette forme pratique : “S’abandonner à la toute sage, toute bonne et tout aimable volonté de Dieu, se laisser faire, accepter de sa main paternelle joies et peines, croix et consolations, tout ce qu’il lui plaira de nous envoyer.”
Saint Alphonse s’adressant à une personne qui lui demandait conseil, écrivait : “Comme le salut de votre âme dépend en grande partie de la direction d’un bon confesseur, ce choix ne doit pas se faire au hasard, ni par goût naturel; il faut choisir celui qui, à la science et à l’expérience, joint l’esprit d’oraison, et marche lui-même dans la voie de la perfection.”
Or, cet excellent directeur, ce confesseur vertueux, sage, prudent, dont parle saint Alphonse, ce trésor inappréciable, un grand nombre d’âmes l’ont trouvé dans la personne du R. P. Bronchain.
Il avait été admirablement préparé à cette divine mission. Son travail intérieur, son application constante à tendre à la perfection, les années passées dans la direction des novices, l’étude approfondie de la science théologique et ascétique, tout concourait à faire de lui un directeur de choix.
Aussi cette direction fut recherchée des riches et de pauvres, des savants et des personnes placées en dignité : prêtres, laïcs, fidèles de tout rang vinrent se placer à l’envi sous sa direction.
Les qualités que l’Eglise requiert du prêtre pour devenir un bon confesseur : la science, la sainteté de vie, la prudence et le bon jugement, la douceur dans les procédés, la fermeté dans les décisions, le R. P. Bronchain les possédait à un très haut degré. Il sera facile de nous en convaincre lorsque nous aurons étudié d’un peu plus près le saint Directeur, entendu ses sages enseignements, et que nous nous serons édifiés au récit de ses étonnantes vertus.
Citons d’abord quelques témoignages autorisés : “Je me suis confessé une seule fois au R. P. Bronchain, écrit une personne de Tournai, mais je n’oublierai jamais cette confession. Le R. P. ne m’a dit que peu de paroles; il y avait comme une grâce et une vertu particulière qui sortaient de ses lèvres. Ce peu de mots éclaircit tous mes doutes et produisit dans mon âme une impression ineffaçable.”
J’ai pris le R. P. Bronchain, non pas comme confesseur, mais comme directeur, disait un saint prêtre; j’allais de temps en temps lui demander conseil. Les avis opéraient à la manière des sacrements, ex opere operato, c’est-à-dire que la lumière et la grâce divine les accompagnaient et entraient dans l’âme dirigée.”
Voici un autre témoignage; il est d’une personne du monde, très à même de porter ce jugement :
“J’ai toujours été profondément édifié de la simplicité du R. P. Bronchain, comme aussi de son parfait détachement de lui-même. Cette simplicité se faisait surtout remarquer dans sa manière de donner des conseils. Il disait ce qu’il croyait le plus utile, le plus propre à procurer la gloire de Dieu, sans chercher à plaire et sans tenir aucun compte des idées du monde. Il n’imposait pas non plus sa manière de voir. Il exposait ses raisons, et cherchait à faire du bien sans forcer la volonté d’aquiescer à ses désirs.”
Notons, pour terminer ce chapitre, une appréciation d’un de ses confrères :
“Ce charitable Père était la consolation et le secours du pauvre, la force du faible, le médecin dévoué du malade, le protecteur actif de la veuve et de l’orphelin. Dans les doutes, il conseillait avec sagesse. Dans les affaires qui semblaient désespérées, il trouvait une heureuse solution. Aux riches il apprenait à ne pas s’enorgueillir, mais à secourir les pauvres; à ne pas se glorifier de leurs richesses, mais à en user avec modération; à se considérer plutôt comme des administrateurs devant un jour rendre un compte très exact au Père de famille, au juge souverainement équitable.
Se tenant dans un juste milieu, comme le veut saint Alphonse, entre la trop grande sévérité et une molle condescendance, il fixait à chacun, selon sa condition, la règle certaine à suivre et le devoir à pratiquer. Envers tous, quels qu’ils fussent, il était plein de bienveillance; et il pouvait dire en toute vérité avec l’apôtre : “Je me suis fait le très humble serviteur de tous, afin de gagner plus d’âmes à Jésus-christ. “Omnium me servum feci, ut plures lucrifacerem”(I. Cor., IX, 19)
Aussi que d’âmes lui doivent leur conversion ! combien d’autres leur progrès et leur perfection ! Il portait la grâce avec lui par son air angélique, sa modestie, cette atmosphère de piété qui semblait l’environner et qu’on respirait rien qu’en l’approchant.

CHAPITRE VI

L’HOMME INTERIEUR

Misericordiam et veritatem diligit Deus ...
Non privabit bonis eos qui ambulant in innocentia :
Domine virtutum, beatus homo qui sperat in te. (Ps., LXXXII, 12)
Dieu aime la miséricorde et la vérité.
Il ne privera point de ses biens ceux
qui marchent dans l’innocence : O Dieu des vertus,
qu’heureux est l’homme qui espère en vous !

Les forces cachées de la nature ne sont pas les moins énergiques ni les moins fécondes. Qui mesurera la puissance de la sève qui circule et fermente aux veines de la terre, et en fait jaillir ces myriades de brins d’herbe et ces majestueuses forêts qui la parent ? Cette force pourtant est inaperçue; elle ne se voit qu’en ses effets.
Ainsi en est-il, dans l’ordre surnaturel, de cette autre sève qui fait les saints et qu’on nomme la grâce. Quoi de plus digne d’intérêt que d’en suivre les mystérieuses opérations ? C’est ne comprendre les saints qu’à demi, que de se borner à dénombrer leurs actes de vertu. Il faut passer plus en avant et étudier leurs principes intérieurs. Quel est donc le secret, le mobile qui inspirait toutes les actions du R. P. Bronchain; quel est l’esprit qui l’animait et dirigeait sa vie ?
Quatre choses, selon les ascètes, font le bon religieux : le recueillement, l’observance régulière, la pratique de l’obéissance et de la charité.
Ce qui fait le bon religieux, c’est l’union à Dieu. Tous les exercices, toutes les pratiques de la vie religieuse ont pour but de préparer, de conclure et de consommer cette union. Pour arriver à ces heureux résultats, il faut en écarter les obstacles ; c’est la première fin des voeux de religion. Ces trois voeux, obéissance, chasteté, pauvreté sont opposés à l’orgueil de la vie, à la concupiscence de la chair et à la concupiscence des yeux. Pour vivre en religion, il faut commencer par mourir; mourir à la vie du monde, des passions, des sens, à la vie purement naturelle, pour vivre d’une vie surnaturelle, la vie de la grâce en Jésus-Christ. La mortification et l’oraison opèrent cette mort et donnent cette vie. La mortification détache des créatures, l’oraison unit à Dieu.
Le Révérend Père Bronchain fut un homme de mortification et d’oraison. Sourd, aveugle et muet, telle était sa devise; sourd à tous les vains bruits du monde, aveugle pour détourner les yeux de ses vanités, muet en évitant toute parole oiseuse.
Sa vie était une oraison continuelle. “Il faut, disait-il, profiter des moindres moments de temps pour les employer à la prière.” Le fervent religieux avait reconnu dans l’oraison la source de tout bien. Il y avait puisé ce profond oubli de soi, cette parfaite abnégation, ce détachement absolu de toutes choses qui lui faisait voir et rechercher en tout et partout le bon plaisir de Dieu : ce qui constitue la perfection de l’âme religieuse.
Il ne sortait du monastère que par nécessité, pour la visite des malades, et, pendant le voyage à travers les rues de Tournai, il méditait et il priait. Aussi trouvait-il dans cette union à Dieu de bonnes paroles pour réconforter les malades, les porter à Dieu, leur apprendre à sanctifier leurs souffrances, et les encourager à attendre avec assurance le salut éternel et la récompense de leurs peines souffertes pour Dieu.
Naturellement un religieux uni à Dieu est un religieux observant. Le R. P. Bronchain fut un modèle d’observance régulière.
L’obéissance fut une de ses vertus de prédilection.
Son âme était une âme soumise. Elle ne connaissait guère les révoltes et les caprices de la volonté propre.
L’obéissance d’un religieux a deux objets : sa règle et l’autorité de ses supérieurs. L’observance régulière de notre bon Père se maintint toujours exacte. Il fut un de ces hommes fidèles qui, au lieu de céder à l’entraînement du travail et des infirmités, forcent le travail et les infirmités à rester dans les limites de la loi.
Ce saint religieux ne trouvait en rien prétexte à dispense; et si l’obéissance l’obligea à quelques exceptions, il sut si bien faire, que dans ces exceptions même il trouvait matière à mortification.
Condamné à prendre de la viande trois fois par jour, pour soutenir cete vie languissante qui ne lui laissait plus qu’un souffle, il ordonna au Frère cuisinier de lui servir les restes de la Communauté.
Ce culte de la règle, il le poussait aux extrémités et l’étendait, quoique avec une moindre rigueur, jusqu’aux simples usages. Ceux-ci avaitent au moins, à ses yeux, l’avantage de le gêner et d’immoler la volonté propre. Ceux qui, pendant de longues années, l’ont suivi de près et l’ont observé avec la plus curieuse attention ne purent jamais le prendre en défaut, et confessent qu’ils ne l’ont pas une fois vu manquer à la moindre observance, non seulement de la règle, mais même de la coutume.
“Il fut, dès son noviciat, écrit l’un d’eux, d’une régularité que peut-être il eût été possible d’égaler, mais non de surpasser. Je l’examinais à la loupe, je puis le dire, et n’ai pas constaté un seul manquement appréciable au dehors; Dieu, si grand dans les infiniment petits, “maximus in minimis Deus,” réalisait en lui une des ses merveilles.”
Il est surtout, dans la vie religieuse, deux vertus d’une pratique quotidienne, l’obéissance et la charité.
L’état religieux est éminemment un état de dépendance et de sujétion continuelle; il demande de l’abnégation, du renoncement à son jugement et à sa volonté propre.
“Qu’ils n’aient, disent les saintes règles de l’Institut, aucune volonté propre, mais que leur volonté soit tout entière entre les mains de ceux qui les gouvernent.”
Rien n’égalait le respect, la vénération, la soumission du R. P. Brochain envers ses supérieurs. “Jamais, dans ses conférences, rapporte un de ses novices, le Père Maître ne parlait plus fort que sur l’obéissance. Son amour pour les supérieurs allait jusqu’à l’affection et cet attachement naïf d’un enfant envers les auteurs de ses jours.”
Nous avons pour garantie de ces paroles, le témoignage de deux de ses supérieurs.
“Son obéissance, dit l’un, était une obéissance de saint. Tous les supérieurs étaient à ses yeux les remplaçants de Jésus-Christ : tous les points de la Règle, des manifestations de sa sainte et adorable volonté. Son abandon à la volonté de Dieu était tel, que rien ne pouvait le troubler. Comme le bon Dieu veut, telle était sa devise intérieure.”
“Volontiers, dit l’autre, je rendrais témoignage sous la foi du serment des vertus héroïques du R. P. Bronchain, si j’étais cité à cet effet, devant un tribunal ecclésiastique. Il a été le type accompli du rédemptoriste dépeint pas saint Alphonse. C’était, par excellence, l’homme de recueillement, de retraite et d’oraison; l’homme de travail et surtout de mortification.
Toujours grave et sérieux, il paraissait néanmoins toujours content, et ne parlait à ses confrères qu’avec le sourire sur les lèvres.
Quoiqu’il fût, comme Maître des Novices, à la tête d’une communauté distincte de celle que je gouvernais dans la même maison, jamais, pendant mes deux ans de rectorat, il ne s’éleva entre nous la moindre difficulté, ni l’ombre même d’un conflit.
Dans ce corps si frêle, il y avait une singulière énergie pour le bien. Non content de prêcher à ses novices la nécessité de se vaincre, il leur en donnait l’exemple, et il en est peu, je pense, qui l’aient égalé sous ce rapport.
Il n’a écrit dans ses méditations que ce qu’il avait lui-même pratiqué durant de longues années.
De cette énergie de volonté procédaient cette sainte et douce modestie et cette égalité d’humeur, malgré un tempérament vif et irascible, cette sévère mortification des sens, malgré une santé faible et délicate.
Toutes ces vertus, le R. P. Bronchain les a portées si loin, qu’il n’eût pu sans excès en faire davantage.”
Une autre vertu essentielle à la vie religieuse, c’est la vertu de charité. Elle est d’une pratique de tous les instants. Les religieux, vivant d’une vie commune, ne forment pour ainsi dire qu’une seule famille; par conséquent il sont entre eux dans des rapports continuels que la charité doit régler, rendre doux et agréables.
Le R. P. Bronchain fut un modèle de charité. Toujours affable, accueillant, aimable, prêt à rendre service, ne se préférant à personne, mais cherchant à occuper partout la dernière place; jamais il n’avait un mot, un geste capable de faire de la peine à qui que ce soit; jamais il ne contestait ni n’interrompait les autres; quand la conversation était suffisamment animée, il écoutait d’un air d’intérêt. Il savait adroitement détourner un entretien qui frisait la médisance et mêler une parole d’édification surtout pendant la récréation du soir.
Quelqu’un disait de lui : “Le R. P. Bronchain me fait l’effet d’un homme qui ne touche la terre que par le bout du pied, juste assez pour avoir un point d’appui pour son corps. Son âme a son appui tout entier au ciel.”
Un autre traduit son impression par cette formule significative : “En toutes choses c’était la correction irréprochable. Il avait en toutes ces actions ce juste point que seuls les saints savent découvrir et réaliser. Son abord était pacifique et pacifiant.”
Mais ce que la terre découvre de la perfection des saints n’en est que la moindre partie; le ciel s’en est réservé la plus admirable. Semblables à ces nuées opaques qui viennent s’interposer entre le soleil et la vallée et qui interceptent les rayons du jour. D’en bas l’oeil n’aperçoit que quelques reflets d’or et de la pourpre qui les traversent, tandis que leur partie supérieure renvoie au ciel les torrents de lumière qui s’y réfléchissent comme en un miroir. Ainsi Dieu avec ses anges est le spectateur unique des progrès et de la radieuse vertu de ses élus. C’est donc là-haut qu’il faudrait chercher un sujet des trésors cachés de l’homme intérieur, des témoignages complets.

CHAPITRE VII

L’ECRIVAIN

Quid ad justitiam erudiunt multos, quasi
stellae in perpetuas aeternitates. (DAN., XII, 3.)
Ceux qui enseignent la justice à beaucoup,
seront semblables aux étoiles dans l’éternité sans fin.

Au milieu de se occupations multiples le R. P. Bronchain trouva le temps de composer des ouvrages remarquables pour la sanctification des âmes. Les éloges que lui valurent ses écrits, même de son vivant, sont une preuve de l’estime qu’on faisait de tout ce qui sortait de sa plume.
Nous ne pouvons les reproduire tous dans cette notice; nous nous contenterons de faire la nomenclature de ses élucubrations en ajoutant quelques appréciations d’hommes compétents.

OUVRAGES DU R. P. BROCHAIN

I. – Méditations pour tous les jours de l’année
“A tous ceux qui, par devoir ou par état, sont appelés à parler aux âmes de leurs intérêts spirituels, il y a lieu de signaler les importantes ressources que cet ouvrage leur offre. Ils y trouveront non seulement un excellent manuel d’oraison, mais un répertoire, une vraie mine d’or prêtant à une exploitation aussi facile que féconde. Le zèle apostolique, moyennant quelque travail, peut y puiser à pleines mains “ad ministerium verbii et ad opus evangelistae” (Un directeur de communauté).

2. – L’Ame sanctifiée par la méditation quotidienne
On peut appliquer à ce volume les éloges donnés plus haut aux trois volumes des méditations.

3. – Merveilles de la grâce sanctifiante
C’est un traité complet, à la fois théologique et ascétique, de cette importante matière de la grâce, à laquelle le savant et pieux auteur ramène tout ce qui concerne la vie chrétienne. C’est un livre de lecture et de méditation qui peut remplacer tous les autres, une vraie bibliothèque en un seul volume. (Revue théologique).

4. – L’Ecole de la Voie douloureuse

5. – Au pied du crucifix
Solidité, simplicité, onction. Voilà trois qualités que doit avoir tout livre destiné à élever les âmes. Ces deux opuscules réunissent ces caractères. Plusieurs éditions écoulées en peu de temps.

6. – Le Purgatoire et le Ciel
Mêmes appréciations.

7. – Merveilles du Très Saint Rosaire

8. – Richesses du Très Saint Rosaire
Deux beaux monuments élevés en l’honneur de la Reine du très saint Rosaire; ils font les délices des fidèles pendant le mois d’octobre.

9. – Ecrin mystique et trésor de l’âme

10. – Le Purgatoire abrégé pour les defunts et pour nous
Les vérités enseignées dans ce livre, les traits intéressants qu’on y raconte, la perfection évangélique qu’on y expose avec clarté, tout contribue à le rendre aussi utile qu’agréable, aussi capable de produire des fruits de salut, que de charmer les lecteurs pieux.

11. – Les enseignements du Chemin de la Croix
Ce livre facilite l’exercice du Chemin de la Croix. Pour le rendre plus profitable aux âmes, l’auteur le divise en trois séries correspondant aux trois voies de la perfection : voie purgative - voie illuminative - voie unitive.
Tous ces livres si prisés du public furent composés dans des moments bien courts de loisirs. Le R. P. Bronchain perfectionnait chaque nouvelle édition.
Si ses ouvrages furent célèbres, ses vertus le furent bien plus encore; et ce sera l’éternel honneur de la Congrégation du Très Saint Rédempteur d’avoir eu pour sujet ce saint et illustre personnage.

CHAPITRE VIII

DERNIERS JOURS ET MORT BIENHEUREUSE
DU R. P. BRONCHAIN

Pater, ego te clarificavi super terram,
opus consummavi quod dedisti mihi ut
faciam... Nunc autem ad te venio.
(Joan., XVII, 4, 13).
Père saint, je vous ai glorifié sur la terre;
j’achevé l’oeuvre que vous m’avez donné
à faire ... Et maintenant, je viens à vous.

Les maladies sont d’ordinaire un bien pour l’âme, et l’aident à se perfectionner; la puissance divine se plaisant à se manifester dans l’infirmité humaine (II Cor., XII, 7). Elles ne produisent pourtant pas nécessairement ces heureux effets. Pesant de toute sa masse sur l'âme, le corps la pousse à se plaindre et à récriminer contre le mal impatiemment supporté. Aussi, bien des chrétiens ne retirent de leurs maladies que peu ou point de profit.
Il n’en fut pas ainsi de notre P. Bronchain. Jamais il n’avait eu une santé robuste; on l’avait toujours vu maladif ou souffrant. Ces incommodités continuelles ne purent cependant pas entraver en lui les saints exercices du zèle pour la gloire de Dieu et le salut du prochain. Il ne cessa, tant qu’il vécut, d’entendre les confessions, ou de s’occuper de la direction des âmes. Ses lettres multipliées allaient encourager les âmes dont il s’occupait.
Tant et de si nobles vertus ne devaient pas tarder à être récompensées. Depuis le mois de novembre 1891, le R. P. Bronchain s’affaissait considérablement; sa marche devint pénible, une toux déchirante exténuait ses organes. Tout le monde le remarquait et les supérieurs s’en préoccupaient beaucoup. Lui-même, bien qu’il sentit ses forces diminuer, ne changea rien comme nous venons de le dire à ses occupations, ni à sa manière de vivre; sans cesse occupé soit à prier, soit à faire de pieuses lectures, soit à confesser les âmes avides de sa direction. C’était toujours la même douceur, la même patience, la même charité, la même gaieté.
Vers le milieu du mois de mai, il annonça à quelques membres de la communauté qu’il allait se mettre en retraite pour une dizaine de jours. “Ce sera, disait-il, ma dernière, et j’espère mourir vers la fin.”
La maladie s’aggravant de jour en jour, on le transporta à l’infirmerie. Il ne cessait de méditer les vérités éternelles qu’il n’avait jamais perdues de vue pendant les jours bénis de sa vie. Tous les jours et même quelquefois deux fois par jour il se confessait; il recevait avec une foi et une piété sans pareille le Dieu de nos tabernacles, le Jésus de l’Eucharistie.
Les quinze derniers jours que le R. P. Bronchain avait à passer en ce monde furent des jours de croix et de souffrances indicibles. Le cher malade ne pouvait presque plus prendre de nourriture ni de boisson. A cause des chaleurs intolérables de la saison, il avait exprimé le désir de pouvoir passer ses journées au bout d’un corridor en face de la porte de l’infirmerie afin de pouvoir respirer un air plus frais.
C’était un chemin de croix vivant. Combien d’heures d’insomnies employées à la prière ! Quelle torture pour un homme si souffrant, si épuisé de forces, de ne pouvoir jamais prendre un instant de repos sur sa pauvre couche ! Mais combien grande et admirable était sa patience ! Avec quel amour et quelle sérénité, il faisait des actes de résignation, d’abandon et de conformité à la volonté de Dieu ! Avec quelle foi et quelle tendresse il baisait son crucifix en murmurant tout bas les aspirations qu’on lui suggérait !
Le 31 mai, le saint malade sentit que l’heure de sa délivrance n’était plus bien éloignée. Il demanda donc les derniers sacrements.
Dans les maisons religieuses, les rits sacrés de ce moment suprême sont, plus qu’ailleurs, empreints d’une tristesse solennelle et touchante. La Communauté, avertie qu’un de ses membres touche au seuil de l’éternité, se rend processionnellement, un cierge à la main, auprès de ce lit de douleurs qui, dans peu d’instants, sera un lit funèbre.
Le 2 juin, vers midi, le R. P. Bronchain fit signe de le rentrer à l’infirmerie. Une pâleur livide couvrit son visage, la respiration s’échappait en sifflant, à rares intervalles. Et pourtant je ne sais quoi de céleste perçait à travers ces traits défaits par la violence de l’agonie. C’était comme ce mélange d’indicible douleur et de sérénité imperturbable qui frappe dans certaines images vraiment belles du Christ expirant. C’est que la mort des serviteurs ressemble, en effet, à celle de leur divin Maître et modèle.
Toutes les vies, autour de ce fauteuil, semblaient suspendues par l’anxiété. Le dernier souffle s’échappa sans qu’on pût s’en apercevoir. On le croyait encore ici-bas, que déjà son âme s’était envolée entre les bras de Dieu. Il mourut, comme il avait fait toutes choses, humblement, doucement et sans bruit. Il s’éteignait à l’âge de soixante-trois ans, après quarante-deux ans de vie religieuse. C’était le 2 juin 1892, à une heure de l’après-midi.
Quelle belle mort et quel martyr !
Martyr, oui ! De ne l’être pas, vous l’êtes, ô Louis Bronchain ! Vous l’êtes par les ardeurs de la foi; vous l’êtes par les embrassements de vos désirs. Vous êtes martyr de la pénitence, vous êtes le martyr de la charité. La mesure est comble. Il ne vous reste qu’à recevoir la couronne de la justice et à prier pour nous.

Monte au ciel après le Sauveur
Toi qui comme lui sur la terre
Des âmes fut le rédempteur,
Leur consacrant ta vie entière

A la suite de ton Jésus
Va triompher dans la patrie
Où t’acclameront les élus
Où, je le sais, t’attend Marie.

Va savourer le pur bonheur,
Ce qu’a mérité ta souffrance,
Te reposer dans le Seigneur
Comme il fut ta seule espérance.

Va, loin de cette terre, hélas !
Toi que le feu divin consume;
Nous léguant tout ce qu’ici-bas
Ton grand coeur dictait à ta plume.

Va, des fils de saint Liguori
Augmenter la troupe nombreuse,
Cortège d’un Père chéri
Dans la demeure bienheureuse.

Le bon Maître quittant les siens,
Comme un gage de sa tendresse,
De l’Esprit, auteur de tous biens
Leur fait la touchante promesse.

Bientôt le Divin Paraclet
De ceux qu’il laisse dans ce monde
Transforme le cuisant regret
En une paix douce et profonde.

Ah ! ne laisse pas orphelins
Ceux qui t’appelèrent leur Père;
Et qui, dans de sombres chemins
Doivent traverser cette terre.

Qu’ils te retrouvent tout entier
Vivant dans un autre toi-même
Ainsi que toi, digne héritier
De Jésus, la bonté suprême.

Et que ton béni souvenir
Les soutenant dans cette vie
Leur laisse durant l’avenir
L’espérance de la Patrie.

Dieu Puissant, notre coeur se tait,
Adorant ta volonté sainte :
Ce que tu fais, est si bien fait,
Que nous étouffons toute plainte.

Ah ! cependant sur son tombeau
Laisse-nous répandre des larmes,
Car son exemple fut si beau,
Sa vertu si pleine de charmes.

Et puisqu’il a mis son bonheur
A ne désirer que ta gloire,
Daigne d’un si bon serviteur
Honorer la sainte mémoire.


CHAPITRE IX

PARFUM DE SAINTETE


Plus la vie des serviteurs de Dieu s’est écoulée silencieuse et obscure, plus, par une juste revanche, leur Maître a coutume d’entourer d’éclat leur tombeau. Tous, au jour suprême du monde, ils secoueront leur linceul et ses opprobres, et paraîtront revêtus de clartés immortelles, prouvant ainsi que la mort, pour quiconque a imité les vertus du Rédempteur Jésus, ne fut, tout aussi bien que pour le Modèle des vivants, qu’un court et passager sommeil.
Il ne nous reste maintenant qu’à consigner ici quelques-uns des faits qui témoignèrent de la haute idée que la piété des fidèles s’était formée de la vertu du R. P. Bronchain. Déjà l’éclat inusité de ses funérailles nous en a révélé quelque chose. Mais ce fut point un triomphe éphémère comme le sont la plupart de ceux que décernent les hommes. Dieu, qui avait provoqué ce grand ébranlement, ne le laissa pas s’arrêter dès le lendemain.
Une personne s’était croqué le gros doigt du pied droit et marchait avec peine. Après un semblant de guérison le mal reprit; elle ne savait que faire. Sa mère lui dit : “Prie le R. P. Bronchain.” Elle obéit, bande son doigt ; une heure après, peut-être moins, elle marchait très bien, elle était guérie.
Un confrère avait des anxiétés de conscience, il croyait qu’il serait damné : il invoque avec confiance le R. P. Bronchain. Quelques jours après, une lumière se fait dans son esprit, il voit l’état de son âme et la paix revient avec des consolations indicibles.
Aussitôt après sa mort, son visage parut plus beau que d’ordinaire; comme si l’âme, en quittant le corps eût fait rejaillir sur lui un rayon de grâce et de gloire.
Avertis du triste événement par le son des cloches, les voisins du monastère d’abord, puis bientôt presque tous dans la grande cité, se redirent l’un à l’autre : “Le saint des Rédemptoristes est mort.”
On vit alors une de ces manifestations émouvantes, spontanées, comme les héros de la vertu peuvent seuls les provoquer. une foule immense se porte vers le couvent du quai Notre-Dame; tous veulent voir et vénérer les restes du serviteur de Dieu.
Plusieurs heures se passent, et la foule devient d’instant en instant plus compacte. Pendant les journées du 2 au 6 juin, le corps du saint religieux, exposé entre quatre cierges, fut visité par des personnes de toutes conditions : prêtres séculiers et réguliers, religieux et religieuses, hommes du monde, femmes et enfants. On compta que durant ces quatre jours, plus de cinq mille personnes défilèrent dans le parloir, se succédant continuellement, faisant toucher aux restes du R. P. Bronchain, des médailles, des chapelets et des objets de tout genre.
Mgr. Du Rousseaux, évêque de Tournai, comme les membres les plus éminents du chergé tournaisien, avait mis toute sa confiance dans le saint Religieux et professait pour lui la plus profonde estime. Il visita deux fois la dépouille mortelle de son Directeur de conscience et fit toucher au saint corps, son anneau, son chapelet et sa croix pectorale. Ces témoignages de vénération de la part du premier pasteur du diocèse firent grande impression sur le peuple : On se disait de part et d’autre : “Le R. P. Bronchain est véritablement un saint, Monseigneur lui-même fait toucher son chapelet à ses restes bénis.”
Enfin le moment était venu de rendre au vaillant fils de saint Alphonse, les derniers et suprêmes devoirs. Le corps fut déposé dans un double cercueil. Une fiole, renfermant une pièce authentique relatant l’identité des restes précieux, fut placée à l’intérieur.
Les funérailles furent fixées au lendemain 6 juin. Le R. P. Samain, supérieur des Rédemptoristes de Tournai, fit la levée du corps. La chapelle était trop étroite pour contenir la foule. Dans l’assistance, Mgr l’évêque deTournai, un clergé nombreux, des personnes de tout rang.
Après le chant des absoutes, on se dirigea en cortège vers l’entrée de l’église; Mgr de Rousseaux, accompagné des membres de la Communauté, suivait les restes mortels.
Arrivés au seuil du sanctuaire, au moment de la séparation, Monseigneur, vivement ému, dit aux Rédemptoristes présents : “Mes Pères, quelle vie et quelle mort ! “
Une longue file de voitures et d’équipages se mit à la suite du corbillard, beaucoup de personnes voulant donner cette suprême marque de sympathie à l’humble religieux, qu’elles tenaient en si haute estime.
La matinée était pure et douce, le soleil resplendissannt. Les parfums des buissons fleuris traver-saient les airs. Un souffle de résurrrection et de gloire semblait saluer ce cerceuil à son passage.
Le lieu destiné à sa sépulture est le cimetière de Rumilies situé à une petite lieu de Tournai. Le R. P. Bronchain repose à côté de ses confrères en religion.
Au pied de cette tombe on voit fréquemment accourir des âmes affligées qui viennent invoquer son intercession.
Comme longtemps après que le feu le consuma, l’encens continue à embaumer les voûtes du saint lieu, de même la vie des âmes pures laisse après elles un long parfum de vertus. Durant leur carrière mortelle, elles vérifièrent cet oracle de l’Ecriture : “Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ “ (II Cor., II, 15). Et quand elles l’ont terminée, cet oracle, jadis une leçon, commence à s’appliquer à leur mémoire comme un hommage. L’impérissable souvenir de leurs vertus nous fait respirer sur leurs séputures glorieux le parfum de la sainteté.
Qui sait si avant que se lève le jour de la résurrection, les restes mortels du R. P. Bronchain et de quelques-uns de ses confrères ne seront pas enlevés à la terre pour être placés sur nos autels ? Puissions-nous honorer cet humble et vaillant soldat de Jésus-Christ et dire un jour :

Priez pour nous, Père Louis Bronchain.
Afin que nous soyons dignes des promesses de Jésus-Christ. †

APPROBATION Sur le témoignage de deux examinateurs de notre Congrégation, nous permettons l’impression. Bruxelles, 19 mars 1909.
Cm. VAN DE STEENNE, C. SS. R.Supérieur provincial
NIHIL OBSTAT : Brugis, 24 Martii 1909 H. LAHOUSSE can. libr. cens.
IMPRIMATUR : Brugis, 26 Martii 1909 H. VAN DEN BERGHE vic. gen.

(Typed by Mr Aimé Dupont of Flanders.)








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