Fr Emile Van Der Straeten, C.SS.R. (1862-1924)
Miles Christi - Soldier of Christ
by Rev. Fr Emile Theyskens, C.SS.R.
Voilà quelques semaines, à peine, que le Père Vanderstraeten est mort, dans la paix, en notre couvent de Liège. C’est une figure intéressante et originale qui manquera désormais au bataillon de nos missionnaires apostoliques. Si la modeste croix de sa tombe, à Milmort, demandait une épitaphe on y peindrait ces deux mots : Miles Christi! Solidement bâti, de haute et fière stature, de port noble, ayant la démarche dégagée, la voix claironnante et le geste nerveux, ce rédemptoriste semblait avoir porté l’uniforme. On le croyait fils d’officier et on l’appelait couramment le missionnaire-soldat.
LA VOCATION
Dès son enfance, il manifestait son inclination pour la vie militaire, et cette préférence s’accentua, durant les études qu’il fit chez les Croisiers de Diest, sa ville natale. Il avait fini sa rhétorique quand il arriva de passer ses vacances, à Mons, chez un de ses oncles. La veille d’un premier vendredi du mois, il entra dans l’église des rédemptoristes et y demanda un confesseur. La piété ingénue de ce jeune homme frappa l’esprit du père qui lui posa cette question : - A quoi vous destinez-vous ? - A la vie militaire, fut la réponse péremptoire. - Faites-vous rédemptoriste. Vous serez soldat de Jésus-Christ, lui répliqua le confesseur. Remué par cette parole et éclairé par Dieu, l’étudiant se décida sur le champ à suivre cette indication providentielle. Sa mère à qui il confia son projet, douta de la maturité d’une telle décision – son fils avait dix-sept ans – et exigea qu’il suivit le cours de philosophie à Malines. Il y trouva comme professeur le chanoine Mercier, qui pendant toute son éminente carrière, honora son ancien élève d’une vraie affection. Emile Vanderstraeten laissa au petit Séminaire le souvenir d’un jeune homme pieux, appliqué mais aussi combatif. Ses amis racontaient volontiers un fait, qui le dépeignait au vif. Lors d’une séance de déclamation publique, quelques étudiants, victimes maintes fois des taquineries de leur spirituel condisciple, résolurent par représailles de lui faire une brimade. Monté sur l’estrade, l’orateur du jour subit un assaut d’éclats de rire et de gestes désordonnés. Imperturbable, il croisa les bras, toisa son auditoire, et silencieux, et dédaigneux des clameurs assourdissantes, il apaisa le tumulte. Alors, calme et maître de lui, il donna son discours avec tant de conviction communicative et de chaleur prenante que d’enthousiastes applaudissements le saluèrent après la fin du morceau. Dans l’entretemps, son attrait pour la vie religieuse progressait. Au terme de cette première année de philosophie il déclara à sa mère sa volonté arrêtée de suivre l’appel au cloître. Selon sa manière un peu impulsive et nerveuse il décida de ne parler de son projet à aucun membre de sa famille et de négliger toutes les oppositions. Il entrait au noviciat de Saint-Trond, en septembre 1880.
LE NOVICIAT
Le noviciat est le premier stage de l’apostolat, l’école de formation du soldat du Christ. Emile s’appliqua à la discipline, note distinctive de toute vie militaire, et à la vie intérieure, âme de tout apostolat. Avec son tempérament martial, il se plia sans effort sous le joug de cette discipline, dont, plus tard, comme supérieur et comme sujet, il sera un type achevé. Sa nature ardente et bouillante répugnait davantage aux règles du silence et du recueillement; mais, les jugeant indispensables à son progrès spirituel, il s’y exerça avec toutes les énergies de son indomptable volonté. Son port, son verbe, son geste resteront ceux du soldat, mais l’âme assouplie aux exercices de la vie intérieure est orientée résolument vers Dieu : la grâce ne détruit pas la nature mais l’élève et l’ennoblit. Quand, le Frère Vanderstraeten, à la date du 15 octobre 1881, émit les saints voeux, ses aspirations chevaleresques s’allièrent à ses convictions religieuses pour lui faire prononcer d’une voix virile les serments de fidélité à son Roi, le Christ-Jésus, et à la milice sacrée du Très Saint Rédempteur.
LE SCOLASTICAT
L’initiation à la vie contemplative du rédemptoriste, commencée au noviciat, se poursuit durant six années d’étude et de formation spirituelle. La philosophie et la théologie éclairent l’âme tandis que les exercices de l’ascétisme la fortifient et la consolident. Un homme sans science, dit la Règle, est semblable à un soldat sans armes, et la vie d’un ascète, selon l’étymologie du mot, est une lutte continuelle. Notre confrère partit donc pour Beauplateau, où se trouve le scolasticat. Il s’adonnerait à l’étude des sciences sacerdotales et à la partique des vertus apostoliques. Au milieu de cette vaste solitude, dans ce sanctuaire du savoir et de la piété, son ardeur batailleuse se manifestera par de chaudes discussions philosophiques et théologiques. Dans les soutenances de thèses, sans peur comme sans vantardise, il sera toujours sur la brèche. Son extrême facilité d’élocution, unie à une belle finesse d’esprit lui permettra de tenir tête à tout antagoniste. Au temps de la récréation, son attitude crâne et sa verve innocemment sarcastique lui donneront un ascendant incontestable, mais l’exposeront aussi à des assauts de la part de confrères intelligents qu’il a provoqués à quelque joute ! S’il fait rire aux dépens de quelque candide, ce sera toujours sans blesser personne et sans s’aliéner l’amitié. Sa vie à Beauplateau peut se fixer en quelques traits : piété virile, respect profond pour l’autorité, exemple constant de cordiale gaîté. Il reçut l’onction sacerdotale, le 23 août 1885. Il aimait raconter, plus tard, qu’une de ses grandes émotions avait été provoquée par l’exécution du chant qui clôturait cette grande cérémonie “Juravit Dominus et non poenitebit eum; tu es sacerdos in aeternum. Le Seigneur l’a juré, son serment est sans repentance : tu es prêtre pour l’éternité”. En ce jour, Dieu avait répondu aux serments de sa profession religieuse.
PREMIERS TRAVAUX
Une année encore d’études, et le jeune Père allait commencer ses campagnes apostoliques. Il fit ses premières armes au couvent de la Madeleine, à Bruxelles. Il fut bientôt chargé de travaux multiples et variés. Etonnamment disposé pour la prédication, il recueillit un vrai succès dans nos provinces flamandes et wallonnes. Le bilan de seize mois d’action – d’après la chronique du couvent – nous présente, à son sujet, seize missions et cinq retraites. La population d’Alost, lors d’un renouvellement de mission, admira hautement les sermons français qu’il y prêcha. Les populations urbaines et rurales vouèrent leur sympathie à ce jeune orateur qui les subjuguait par sa noble statute, son abord affable, ses manières audacieuses, sa parole entraînante, qui les enlevait. Tout annonçait en lui un bel avenir de missionnaire. Une de ces premières retraites lui amena une consolante victoire. Les petites Soeurs des Pauvres, à Bruxelles, avaient une pensionnaire, protestante irréductible, que rien n’avait ébranlée dans ses convictions : ni les conseils du prêtre, ni les supplications des Soeurs, ni les objurgations de ses compagnes. Une belle offensive s’offrait au zèle audacieux du Père, qui osait entreprendre ce qui rebutait et décourageait les autres. Sa parole fut si persuasive, ses efforts tellement soutenus qu’au dernier jour des exercices, la protestante capitula. Elle abjura et fit sa première communion.
LE SECOND NOVICIAT
C’étaient des escarmouches que ces premiers combats. Il y a la grande bataille méthodique contre l’ennemi des âmes. La stratégie en est enseignée dans cette espèce d’école militaire du jeune rédemptoriste qui s’appelle le second noviciat. Cette institution, si utile et si appréciée, est personnelle, croyons-nous, à l’Institut de saint Alphonse. Celui-ci veut que les jeunes pères, au terme de leurs études, soient placés durant six mois sous la direction d’un missionnaire expérimenté. Le progrès spirituel reste, comme au premier noviciat, le but primordial à poursuivre, mais la formation théorique et pratique du missionnaire absorbe une grande partie de la journée. Les novices libérés de toute autre occupation s’adonnent à l’étude de l’éloquence sacrée sous toutes ses formes, spécialement à la composition des sermons de mission. La tâche du Préfet est d’imbiber les esprits du genre oratoire apostolique et populaire, tant recommandé par saint Alphonse. C’est là que les futures lutteurs forgent leurs armes et s’initient à la manoeuvre des missions et des retraites. Ils apprennent à pénétrer, par les brêches, adroitement ouvertes, dans la place occupée par l’ennemi et à le déloger de ses derniers retranchements. Grâce à l’expérience acquise durant les premiers mois de sa vie active, à ses dispositions innées pour la prédication et aussi aux sages conseils du R. P. Braeckman, Préfet du second noviciat, le Père Vanderstraeten profita largement de cet apprentissage apostolique. Il fourbit ses armes et se trouva suffisamment équipé pour entrer dans la bataille.
LES MISSIONS
Durant quelques années il travaillera en sous-ordre; mais bientôt il gagnera ses galons en révélant ses précieuses énergies et mènera lui-même ses jeunes confrères au combat. Trente-huit ans d’apostolat. Glorieux états de service pour la cause de Dieu et des âmes ! Souvenir consolant d’une vie féconde ! Noble stimulant pour tous ceux qui sentent brûler dans leur âme la flamme ardente du zèle ! Voici quelques citations à l’honneur de ce magnanime combattant : 30 missions de quinze jours à Bruxelles, Anvers, Liège, Gand, Mons, Tournai, Ostende, Malines et Louvain. Il paraîtra à différentes reprises pour les mêmes travaux à Courtrai, Alost, Hasselt, Tongres, St-Trond, Aerschot, Renaix, St-Nicolas, Eecloo, Deynze et Comines. Missions de dix jours et renouvellements au chiffre très élevé. Dans toutes nos provinces sa voix a été entendue. Seraing, Puers, Contich, Merchtem, Ingelmunster, Rupelmonde, Andenne, Assche, Hooglede, Herenthals, Wilrijck, Ruysbroeck, Londerzeel, Duffel, et d’autres grands centres résonnèrent à sa grande voix. Les chroniques de nos couvents attestent, qu’à part quelques rares exceptions, toutes ces missions furent couronnées d’un franc succès. Les pères chargés de renseigner sur les travaux apostoliques sont généralement très concis dans leur relation. Est-ce la hâte d’expédier la besogne? Est-ce le souci de la modestie ? Est-ce l’amour de la discrétion ? Ne serait-il pas plus juste de dire que cette brièveté découle de la nature même de notre ministère, où l’extraordinaire se répète sans cesse ? Ab assuetis non fit passio, dit le proverbe : la répétition n’éveille plus l’émotion! Les faits les plus frappants se présentent aux missionnaires et à leurs chroniqueurs comme des événements à peine dignes d’être notés. Dans ces laconiques rapports nous pouvons toutefois glaner quelques traits. En mars 1891, le Père Vanderstraeten donnait la mission à Gand dans un centre essentiellement ouvrier, la paroisse de St-Jean-Baptiste. Une vigoureuse propagande, conduite par l’organe socialiste le Vooruit, essayait de faire échec aux prédicateurs. Il n’en fallait pas davantage pour stimuler l’ardeur du missionnaire : sa parole fut plus combative que jamais. On se redisait les prouesses oratoires de ce moine-soldat et les hommes, à l’âme toujours belliqueuse, vinrent en masse. Ils vinrent si bien qu’à la fin de la mission on compta douze cents communions de plus que les années précédentes. La plupart de ces communiants étaient, au témoignage du clergé paroissial, éloignés depuis vingt et trente ans de toute pratique religieuse. En 1898, le zélé pasteur de la paroisse – à présent Monseigneur Segers, évêque de Gand - rappela le Père Vanderstraeten. Son succès fut tout aussi complet qu’en 1891. Les ouvriers se pressaient chaque soir en foule autour de la chaire et lorsqu’à la clôture, le missionnaire leur adressa ses adieux, il en vit beaucoup éclater en sanglots, émus comme des enfants au départ de leur père. Cette émotion provoquée chez ces âmes frustes, par cette éloquence plutôt rudoyante était pour le clergé un spectacle déconcertant. A Anvers, (paroisse de St-Jacques), il remporte un triomphe aussi notoire. Les communions pascales furent doublées et dans la classe ouvrière surtout un grand nombre de conversions sincères furent enregistrées. Quatorze cents paroissiens se firent inscrire dans l’Association du Chemin de la Croix hebdomadaire. A Ruysbroeck, commune industrielle, le Père réussit à attirer, chaque soir, à la sortie de l’usine des centaines d’ouvriers. Aux derniers jours de la mission, les confessionnaux furent assaillis, et l’on vit s’approcher de la Table Sainte une foule d’hommes qui depuis des années n’apparaissaient plus à l’église. A Attenhove, quatre vingts houilleurs habitant la localité se distinguèrent par leur assiduité aux instructions du matin, et, le soir, ils arrivaient au pas de course de la gare voisine pour ne rien perdre du grand sermon. A Wilrijck, deux franc-maçons motoires se laissèrent conquérir par la chaude parole du jeune prédicateur et abjurèrent publiquement leur erreur. A Mons, boulevard du libéralisme et centre d’indifférence religieuse, la mission donnée à Ste-Waudru, en 1900, provoque, dès le début, une telle affluence, qu’au témoignage des paroissiens on ne vit pareille foule à la collégiale, depuis cinquante ans. Après quelques jours, la mission prit la physionomie d’un événement public qui défrayait les conversations jusque dans les cafés et les magasins. Aux jours de confession le succès du travail s’affirma pleinement : les missionnaires furent à la tâche de six heures du matin à onze heures du soir.
SON GENRE ORATOIRE
Saint Paul dit aux chrétiens d’Ephèse : “Prenez toutes les armes de Dieu” (1); et l’Apôtre leur décrit le soldat de ce temps, armé de pied en cap, tenant en main le glaive de la parole de Dieu : “Assumite gladium spiritus quod est verbum Dei” (2). C’est avec ce glaive que Jésus lui-même repoussa la triple tentation que Satan lui fit subir. C’est par la prédication de la parole de Dieu que les missionnaires ont de tout temps converti païens et pécheurs et rendu fortes les âmes chétives. Le Père Vanderstraeten maniait cette parole comme un glaive effectif : flamboyant et tranchant. Il le brandissait et en frappait avec vigueur. Son arme brillait par l’éclat de la pensée, la justesse des mots et le coloris des images. Bien des fois, au cours de missions données en nos grandes villes flamandes, il prêcha à des auditoires français. Il s’adressait alors à la classe aisée, ayant peu l’habitude de la langue flamande. Pour satisfaire ce public plus exigeant, sa parole était noble et pittoresque, mais restait franchement apostolique; et, par intervalles, il tranchait courageusement dans le vif. Aux yeux de juges fort compétents, ces conférences étaient de vrais joyaux littéraires. Il parla aussi en flamand à des auditoires cultivés et spécialement à la jeunesse studieuse. Ses comparaisons imagées, ses mots pénétrants, son style brillant, mis au service d’une entraînante ardeur, impressionnaient profondément. Lorsque, dans les grands sermons de mission, il s’adressait à la masse – que ce fût en français ou en flamand - son langage avait toujours l’allure strictement populaire. Alors il se souciait moins de ce qui captive et charme seulement les esprits, mais ne secoue pas les consciences funestement endormies. En ces circonstances sa parole était bien, comme dit St Paul, vivante, efficace et plus pénétrante qu’un glaive à deux tranchants, allant jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moëlles. (3) Il retournait sa lame dans les plaies suppurantes du coeur. Qu’il était puissant alors ! Sa conviction si profonde, sa flamme, ses mots irrésistibles, sa voix claironnante, son geste martial, sa belliqueuse hardiesse, toute son apostolique combativité enfin, jusqu’à son ironie cravachante, tout convergeait pour le hisser en ces grandes heures oratoires jusqu’à la très haute éloquence. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, car c’est dans les sermons de mission que se déploie avec le plus d’ampleur la puissance de l’orateur sacré. C’est là que les développements grandioses, les thèmes pathétiques, les appels vibrants se donnent libre carrière. Quel verbe puissant, quelle ardeur d’apôtre, quelle mimique expressive, quelle voix tonnante ne faut-il pas pour dérouler le tableau saisissant des grandes vérités telles que la mort, le jugement, l’enfer ! L’indignation, le dégoût, la bravoure doivent passer dans cette parole qui stigmatisera la corruption des moeurs et s’imprimera au fer rouge sur le front des libertins ! Mais, par contre, cette voix se fera douce et réconfortante pour dépeindre les infinies miséricordes de Dieu ! Un amour ardent doit embraser le coeur et animer la parole pour étaler toutes les splendeurs de la dilection du Christ; et une attendrissante componction jaillira de l’âme pour jeter les fidèles en larmes à genoux devant la sainte Hostie ! Quel enthousiasme conquérant devant la croix de Jésus portée en triomphe au milieu de la foule et prête à recevoir l’hommage de toute une multitude ! Quel accent fier et tendre pour exalter la souveraineté de la Mère de Dieu et célébrer ses bontés ! Et à l’issue d’une mission suivie avec entrain, comme elle éclate en fanfare d’apothéose la voix du missionnaire magnifiant Dieu d’avoir, durant ces jours, transfiguré les âmes !!... Toutes les cordes doivent vibrer dans le coeur de l’apôtre pour subjuguer tout l’auditoire. C’est tout l’homme qui doit parler à l’homme tout entier, par son intelligence et son imagination, son sentiment et sa volonté, la variété du ton et le jeu de la physionomie. Là gît, d’après Longhaye, tout le secret de l’éloquence. Tel était le Père Vanderstraeten en face d’un vaste auditoire de mission. Sa voix, où frémissait toute son âme, résonnait alors vigoureuse, émue, enthousiaste, soulevante, irrésistible ! C’était le glaive vivant qui tranchait, taillait, conquérait ! Quoique goûté par tous les auditoires, il était néanmoins avant tout l’apôtre des hommes et des jeunes gens. Sa puissance atteignait le faîte lorsqu’il haranguait une assemblée d’hommes. Alors il se sentait dans son ambiance; alors sa personnalité se déployait sans entraves. Il lui arrivait, dans l’élan d’une charge incoërcible, de décocher des apostrophes qu’à lui seul on pardonnait. Il usait sans retenue de la liberté que le Christ donne aux hérauts de l’Evangile et, loin de s’en offusquer, les âmes en faisaient leur profit. Les auditeurs accouraient plus nombreux; ils rentraient en eux-mêmes et se tournaient vers Dieu !
AUTRES TRAVAUX
Pour apprécier à sa valeur totale un missionnaire de la taille du Père Vanderstraeten, il ne faut pas le considérer uniquement dans la prédication des missions, quelles que soient d’ailleurs la beauté et la fécondité de ce ministère. Un champ d’action plus vaste que les missions s’ouvre à son activité. On l’invitera à prêcher des retraites, des octaves, des triduums, des sermons de circonstance. Les invitations se multiplient à mesure que s’accroit son renom et le mettent à même d’adapter son éloquence aux auditoires les plus divers. Le Père Vanderstraeten se fera un devoir de répondre à tous ces appels et d’apporter à tous l’appoint de sa parole chevaleresque. L’exposé des prédications variées auxquelles il s’adonna montrera ce qu’il y a de diversion dans la vie du rédemptoriste, quelle somme de labeurs elles exigent et combien elles stimulent le zèle de l’apôtre. D’aucuns se figurent la carrière du missionnaire comme peu pénible, puisqu’appelé devant des auditoires toujours nouveaux il peut traiter fréquemment les mêmes sujets. Parler ainsi c’est ignorer le rude labeur de la mission. Que de préoccupations pour l’amorcer, en assurer la bonne marche et en maintenir l’entrain ! Que de fatigues pendant ces journées entières passées au confessionnal ! Que de soucis pour adapter les sermons aux nécessités de chaque paroisse ! ... S’agit-il de donner les renouvellements, des matières nouvelles s’imposent, et l’on comprend sans peine qu’un auditoire de ville réclame des allures oratoires différentes de celles adoptées dans une église de campagne. Et que d’autres travaux, en dehors des missions et des renouvellements, exigeront une puissance d’adaptation et un outillage oratoire autrement grands. Qu’on en juge par cette mosaïque chatoyante des travaux apostoliques du Père Vanderstraeten. Il parut, par centaines de fois, dans les collèges, dans les grands et petits séminaires, dans les pensionnats et les écoles normales, chez les religieux enseignants, contemplatifs ou hospitaliers. Il donna les exercices spirituels à des associations d’hommes et des congrégations de femmes, de jeunes filles; à des anciens élèves et à des dames du grand monde; à des vieillards, des domestiques et des enfants. Il s’adressa à des instituteurs, à des soldats, à des jeunes gardes; il évangélisa même, à plusieurs reprises, les détenus de nos prisons et de nos maisons de correction. Si on y joint de multiples prédications à l’occasion du mois de Marie, de jubilés, d’adorations perpétuelles, de fêtes et de circonstances de tout genre, le total et la variété de ces sermons sont prodigieux. Cette seule énumération en dit déjà long sur l’effort déployé dans un ministère aussi complexe; mais on le comprendra davantage en faisant réflexion sur les vérités diverses qui doivent être proposées à des auditoires aussi disparates. A la jeunesse studieuse, il faut parler de ses devoirs d’état, des défauts et des tendances propres à cet âge, de l’idéal qui doit animer un coeur juvénil. Chez les hommes et les jeunes gens, il s’agit de fortifier les convictions, de secouer l’indifférence, de les cuirasser contre le respect humain et de maîtriser les passions sensuelles. Les âmes religieuses doivent être impregnées fortement de l’esprit caractéristique de leur ordre et poussées vigoureusement vers les sommets de la vie chrétienne. Quand le missionnaire prêche à des jeunes filles, il met au premier plan la piété, les devoirs qui découlent de l’état de vie auquel la Providence les destine. S’adressant aux mères, il s’attarde à leurs obligations à l’égard de l’époux, des enfants et des sujets et leur apprend à exercer une influence salutaire dans leur milieu social. Un monde nouveau s’ouvre devant le prédicateur en abordant un auditoire de prison ou de maison de correction; il s’y trouve en face d’une ignorance effrayante qui requiert un choix d’idées et de mots où tout est à la fois simple et solide; en outre la situation particulière du détenu demande une psychologie pénétrante et sûre pour le remuer. Dans une retraite à des instituteurs, il faut mettre en haut relief le caractère sublime de leur mission et les lourdes responsabilités de leur charge. Devant les soldats, il faut éveiller le sens de l’honneur, le sentiment du devoir, le culte de la discipline et les orienter vers le service de Dieu. Aux vieillards, aux enfants, aux domestiques, convient une parole familière pour inculquer une doctrine à la portée de ces intelligences peu ouvertes ou endormies. Il est hors de doute que dans une retraite les grandes vérités doivent être présentées sous une forme différente de celle adoptée pendant les missions ; mais, ici comme là, la crainte de Dieu reste le commencement de la sagesse, ou, comme l’affirme le Concile de Trente, l’élément initial de toute conversion. Des innovateurs peu réfléchis voudraient éliminer les sermons sur la mort, le jugement, l’enfer, pour s’élancer d’un bond vers les hauteurs de la vie spirituelle. C’est se révéler pauvre psychologue et novice dans l’art de conduire les âmes. Le fils de Saint Alphonse, nourri dès le noviciat de la solide doctrine de son Père, développe méthodiquement ses connaissances ascétiques au scolasticat, s’applique journellement aux exercices de la vie intérieure et, dans les retraites aux religieux, traite longuement de la perfection. Il ne doit donc redouter nullement d’aborder les vérités les plus élevées; mais son expérience des âmes lui défend de remplacer le nécessaire par l’utile et de préférer le brillant au solide. Avant d’élever l’édifice de la perfection chrétienne et d’en polir les pierres, il veut établir des fondements bien assis; tous ne goûteront pas ce genre de structure, mais l’ouvrage sera durable. Avant de songer à orner l’âme des vertus de Jésus-Christ, il faut d’abord la purifier et, si l’on veut y répandre les douceurs de l’union divine, il est de toute nécessité d’en éliminer d’abord les amertumes du péché. De nombreuses instructions pontificales et la doctrine des saints corroborent cette théorie ancienne et éprouvée. En ce sens le Père Vanderstraeten concevait les retraites; c’est ainsi qu’il adaptait les vérités à la varieté presque infinie des auditoires. Tantôt il maniait le verbe avec la candeur de l’enfant ou la gravaité du vieillard, tantôt il avait l’enthousiasme du jeune homme ou la puissance de l’homme mûr pour s’élever, par intervalles, à la conviction entraînante du héros ou l’accent enflammé du saint. Miles Christi : Soldat du Christ il le fut toujours. Les trois quarts de ces retraites s’adressèrent aux étudiants, aux soldats ou aux groupements d’hommes. Orateur acclamé de ces milieux ardents, c’est alors qu’il se sentait en pleine possession de ses moyens et dominait vraiment son auditoire. Pour être moins sensationnels qu’en mission, les résultats de ces travaux n’en étaient pas moins fructueux. Le souvenir de sa retraite au cercle des jeunes gens d’Etterbeek est, après de longues années, resté très vivace. Quelques semaines à peine avant sa mort, alors que ses forces le trahissaient, les anciens élèves des Frères des Ecoles chrétiennes à Bruxelles voulaient à tout prix encore entendre sa voix. Un de nos meilleurs prédicateurs nous racontait récemment que, lors d’une retraite donnée aux hommes de la Sainte-Famille de Jette, il ne put s’empêcher de suivre toutes les conférences et se sentit littéralement subjugué par cette irrésistible parole. Mais, après tout, se peut-il imaginer hommage plus décisif, à ce talent, que les nombreuses et pressantes démarches de tant de curés, de tant de directeurs d’oeuvres et de communautés, désireux de s’assurer pour leurs ouailles le fruit de cette prédication virile. Mentionnons succintement le résultat des retraites les plus difficiles et les plus ingrates qu’un missionnaire puisse être appelé à donner. A Anvers, lors de la retraite pascale à la prison cellulaire, sur deux cents quarante détenus, deux cent vingt s’approchèrent de la Sainte Table; à Gand, dans la même circonstance, on n’en compta que deux qui s’obstinèrent dans leur malheureuse indifférence. A la maison de correction à Moll, sur trois cent vingt six pensionnaires, le vaillant missionnaire fut assez heureux de n’avoir à déplorer que trois défections. Au cours des quatre retraites, prêchées successivement aux soldats de la garnison d’Anvers, le nombre des communions s’éleva respectivement à dix huit cents, à deux mille, à deux mille deux cents et à deux mille cinq cents : chiffres que l’on peut appeler éloquents. Les Octaves et les Triduums se donnent plus ordinairement dans les villes que dans les campagnes, et de là suit pour le missionnaire la nécessité de mêler au thème général de sa prédication des considérations sur l’apologétique et sur les questions actuelles de sociologie. Le Père Vanderstraeten se plaisait alors à faire défiler devant les assistants le cortège des adversaires du catholicisme et à mettre en lumière l’ineptie de leurs objections; en même temps il étalait la splendeur de la doctrine chrétienne et les bienfaits de l’Eglise catholique. Quand il lui arrivait - ce qui n’était pas rare – de prendre la parole dans les centres qu’on appelle communément anticléricaux, ennemis du prêtre et de son influence, intrépide il se dressait comme le défenseur de la pure doctrine et le vengeur des droits outragés. Son ardeur combative allait jusqu’à chercher l’occasion d’entrer en lutte. Un fait : Dix sept fois il prêcha à Diest la grande octave de la Ste Vierge dans l’église des Croisiers. Diest, sa ville natale, était alors une des citadelles les plus belliqueuses du Libéralisme; ce n’est qu’après cinquante ans d’efforts que le parti catholique réussit à s’assurer la victoire. Il estimait de son devoir de porter les coups les plus vigoureux à un ennemi si sectaire. Il jugeait aussi nécessaire de traiter, parallèlement à des sujets de dévotion, des matières susceptibles de lui attirer un auditoire plus compact. Le matin, raconte-t-on, il parcourait la ville, en quête de nouvelles et, le soir, il en apportait les échos à son auditoire à la fois amusé et fortifié dans ses convictions catholiques. Maintes fois il eut à essuyer les attaques forcénées du journal libéral de l’endroit qui le traitait, entre autres, de brouillon et de perturbateur. Au fond, ces brutalités ne déplaisaient pas à notre belliqueux apôtre; bien au contraire, elles allumaient sa verve et il s’en suivait pour ses haineux détracteurs une exécution en règle, dont ils ne perdaient pas à courte échéance le cuisant souvenir. Que le lecteur ne s’y méprenne pas cependant; de cette tactique le missionnaire averti qu’était le Père Vanderstraeten ne faisait pas une fin; non, il s’en servait seulement comme d’un moyen pour provoquer au sein de la population une certaine effervescence qui allait directement à grossir ses auditoires, auxquels, ensuite, il ne maquait pas de distribuer le pain de la doctrine et de prêcher, selon l’esprit du divin Maître, les austères devoirs de la vie chrétienne.
L’OEUVRE MILITAIRE
Les missions, les retraites et les prédications de tout genre occupent une large part dans la vie apostolique du rédemptoriste, mais ne rendent pas la mesure pleine et totale de son activité. Que d’autres travaux sollicitent son zèle ! Dans chacune de nos églises se trouvent établies une association des Mères Chrétiennes et deux sections de l’Archiconfrérie de la Sainte Famille, une pour les messieurs et une autre pour les dames. Le Père Vanderstraeten les a dirigées toutes successivement à Anvers, à Bruxelles, à Liège, à Roulers et à St-Trond. Plusieurs fois même il se trouvait simultanément à la tête de deux ou de trois associations, mais il est une oeuvre qui plus que celles-là eut ses prédilections et absorba le meilleur de ses énergies : l’Oeuvre militaire. Il en fut comme le fondateur, car le franc succès obtenu auprès de la garnison d’Anves suscita l’émulation de ses confrères qui inaugurèrent le même apostolat dans leurs églises de Bruxelles, de Liège, de Tournai et de Mons, et donnèrent à la Messe militaire une place de choix parmi les oeuvres rédemptoristiques. La sympathie unanime qui entoura les débuts et les progrès de cette entreprise, éminemment patriotique et religieuse, nous stimule à faire passer sous les yeux des lecteurs ses diverses phases et ses multiples péripéties. On y admirera à l’aise l’activité débordante, le dévouement inlassable, l’ardeur combative de notre héros; en entendant résonner sa parole chevaleresque nous pénétrerons plus avant dans son coeur et dans son âme. Au Congrès Eucharistique international de Bruxelles en 1898, le Père Vanderstraeten exposa lui-même les origines et l’organisation de l’oeuvre.
L’OEUVRE DE LA MESSE MILITAIRE
“Dès l’origine du Cercle Militaire d’Anvers, son comité directeur s’était occupé de l’organisation de la Messe, qu’il considérait comme le corollaire de l’Oeuvre du Cercle. Dans ce but il fit des ouvertures à l’un des révérends curés de la ville, et peut-être la Messe aurait-elle été fondée dans son église, si le nécessités des services paroissiaux n’y avaient mis obstacle. Cet échec amena les premiers pourparlers avec les PP. Rédemptoristes, en vue d’organiser cette Messe dans leur église. Mais là aussi on se heurta à des difficultés, qui, cependant, grâce au zèle et au dévouement du R. P. De Winde, recteur de la communauté, s’aplanirent peu à peu. Son Eminence le Cardinal-Archevêque de Malines leva les derniers obstacles, et donna à l’Oeuvre sa meilleure bénédiction. Aussitôt des circulaires furent envoyées aux soldats et, le dimanche 15 avril 1894, la Messe Militaire fut dite pour la première fois. Hélas ! le succès ne répondit pas à l’attente : l’Oeuvre continua même à végéter durant tout l’été. Aussi, au mois de septembre, crûmes-nous devoir envoyer une circulaire à MM. les Curés, pour les prier de la recommander à ceux de leurs jeunes miliciens qui avaient été désignés pour notre garnison. Grâce à leur zèle, l’Oeuvre prit tout d’un coup un élan auquel nous n’avions pas osé nous attendre. Le dimanche, 5 octobre, il y eut six cents soldats présents; à la Toussaint, de sept à huit cents. Nous avons donné un caractère exclusivement militaire à la messe : nous n’y admettons pas de bourgeois, surtout pas de femmes; les clairons sonnent aux champs pendant la Consécration et la bénédiction du Très-Saint Sacrement : des soldats servent la messe et chantent au jubé. De nombreuses communions ont été distribuées à nos soldats, grâce à la messe militaire. Chaque dimanche nous en avons compté une trentaine, à la Pentecôte, cent; à l’Assomption, deux cents; à la Noël, cinq cents; à la Toussaint, six cents. Ces braves doivent s’imposer de grands sacrifices : plus d’une fois j’en ai vu qui, debout depuis cinq heures et demie du matin, communiaient à dix heures moins un quart et ne venaient qu’après la messe, c’est-à-dire à dix heures et demie, prendre le modeste déjeûner que nous avons l’habitude de servir aux soldats qui s’approchent de la Table sainte. Quant aux communions pascales, nous avons eu cette année, deux mille cinq cent cinquante communions. Il y a quelques années on n’aurait pas même osé le rêver.” Ces succès réels ne s’obtinrent que grâce à un zèle toujours en éveil, à un labeur incessant et à la mise en oeuvre des moyens les mieux appropriés. Suivons le directeur aux prises avec les difficultés sans cesse renaissantes, et en quête d’initiatives toujours renouvelées. Aux soldats de la garnison d’Anvers il envoie la circulaire suivante, signée de sa main : Camarades ! “Une Messe sera dite chaque dimanche dans l’église des Pères Rédemptoristes. Nous osons espérer que tous vous répondrez à notre appel. Tous en effet, vous êtes chrétiens et tous vous voulez être de vaillants soldats. Or, entendre la Messe le dimanche est un devoir de premier ordre pour tout chrétien, et être fidèle à la consigne est de toute nécessité pour être vaillant soldat. Plusieurs de vos frères d’armes l’ont compris et c’est à leur demande que nous commençons cette oeuvre si utile pour l’Eglise et la Patrie. En avant donc ! Camarades ! Soyez tous présents au poste, foulez aux pieds tout respect humain et montrez que vous êtes de vaillants soldats au service de votre foi et de votre patrie. Rendez-vous en masse tous les dimanches à l’église des Pères Rédemptoristes. EM. VANDERSTRAETEN, Rédemptoriste.” Ce fut assez pour ameuter la presse libérale. L’Opinion, le Précurseur et le Koophandel dénoncèrent en termes indignés la messe comme une hardie conspiration pour “cléricaliser” l’armée. Impassible le Père Vanderstraeten n’en renouvelle pas moins chaque année avec plus de force ses invitations. Faisant à son tour appel à la presse, il se sert des grands organes catholiques pour signaler au public son oeuvre patriotique. Plusieurs journaux de la métropole reproduisirent l’élogieux article que voici :
OEUVRE MILITAIRE
“Parmi les Oeuvres qui s’imposent à notre époque il importe de signaler à l’occasion de la prochaine rentrée des recrues de 1895, celle qui a pour but de maintenir la foi et les bonnes moeurs dans l’armée. Les RR. PP. Rédemptoristes de notre ville ont bien voulu se charger de cet apostolat spécial en créant, dans leur maison de la rue Houblonnière, ce qu’on appelle l’oeuvre de “la Messe Militaire”. Chaque dimanche à dix heures du matin, les dévoués religieux disent la Messe exclusivement pour les soldats et le Saint Sacrifice est toujours précédé ou suivi d’une instruction mettant en lumière l’union consolante de la religion, du courage et du patriotisme. A ceux qui seraient disposés à sourire en lisant ces lignes, nous dirons que jamais peut-être plus qu’aujourd’hui, il n’a été nécessaire d’évangéliser le conscrit pour le maintenir dans le droit chemin. Chaque année de recrutement vient prendre ce qu’il y a de plus fort, de plus pur, de plus sain dans le peuple. L’armée emprunte à nos villes et à nos campagnes, à l’atelier comme à la chaumière, ses éléments les plus dignes et les plus vigoureux. Il importe de la défendre contre le socialisme qui cherche à y pénétrer. Or, comment mieux y réussir qu’en inculquant au soldat l’amour de la patrie et en travaillant à le maintenir dans le respect deDieu, de ses chefs et de lui-même ! Ce ne sont pas vos hommes, disait feu le Colonel Notebaert au directeur de l’Oeuvre militaire d’Anvers, ce ne sont pas vos hommes qui nous ferons volte-face à l’heure du danger, pour se ranger sous le drapeau rouge. Les Pères Rédemptoristes l’ont compris. C’est pourquoi dans les principales villes de garnison où ils ont un couvent, leur maison est ouverte aux braves troupiers. On connaît le magnifique résultat obtenu cette année à Anvers, où plus de deux mille soldats ont fait leurs Pâques. Tous les dimanches, l’église y est littéralement bondée de troupiers; l’armée y est dignement représentée par plusieurs de ses chefs et nous tenons ici à rendre publiquement hommage à ces officiers qui sans forfanterie comme sans respect humain, viennent se mêler à leurs subordonnés, leur donnant ainsi tacitement mais éloquemment, l’exemple des vertus chrétiennes unies aux vertus militaires. Nous ne saurions assez recommander l’Oeuvre Militaire, créée par les RR. PP. Rédemptoristes, à tous les conservateurs, à Messieurs les Curés et particulièrement aux parents des miliciens. C’est une oeuvre de conservation sociale, qui dans les temps troublés que nous traversons, mérite le plus sérieux encouragement.” Ces encouragements stimulent l’ardeur de notre Père et sa plume martiale trace à la hâte ce vigoureux appel aux recrues de 1894 :
POUR DIEU ET LA PATRIE !
Camarades, vous que le sort appelle au service, estimez-vous heureux. En prenant l’uniforme militaire, vous vous revêtez du plus bel habit qui soit au monde après celui du Prêtre. – Respectez le donc. Prenez les armes avec courage. Loin de maudire votre sort, soyez fiers d’être jugés aptes à entrer dans les cadres de l’armée. Mais ne l’oubliez pas : avant d’être soldats, vous êtes chrétiens. Vous ne cessez pas de l’être. Non ! aucune profession n’est étrangère à l’Eglise catholique, celle des armes moins que toute autre. En développant tous les nobles sentiments de l’homme, en vous inculquant la discipline, l’ordre, la régularité, elle contribue singulièrement à la pratique de la vertu. Il n’est point rare de trouver les plus hautes vertus cachées sous l’habit militaire, avec la simplicité, la solidité et la générosité qui sont dans le caractère du soldat. Il y a des affinités, des sympathies naturelles entre la Croix et l’Epée. En ma double qualité de ministre de l’Eglise et d’enfant de la Patrie, je vous invite à venir tous les dimanches assister à la Messe qui est dite exclusivement pour les soldats dans l’église des Pères Rédemptoristes. Pour parvenir plus efficacement à ses fins il s’attache à obtenir pour ses soldats une liberté plus large qui leur facilite l’accomplissement de leurs devoirs religieux. Ses démarches auprès de l’Aumônier militaire sont couronnées de plein succès. Comme attraction il introduit l’usage des cartes de présence. Tamponnées cinquante fois, elles donnent à leur possesseur le droit de recevoir à la fin de son service un certificat d’assiduité à la Messe. Témoignage consolant pour les parents, cette pièce signée par le directeur de l’oeuvre, est en même temps une chaude recommandation auprès des maîtres et patrons catholiques. Dans l’espace de quatre ans, plus de deux cents obtinrent ainsi des emplois honorables, et, sauf de rares exceptions, on n’eut qu’à se louer de leur souplesse, de leur activité, et de cet esprit d’ordre puisé dans la discipline militaire et développé par leur fidélité à la religion. Un autre encouragement hautement prisé par nos bons troupiers d’avant-guerre furent les tombolas. Les prix étaient presqu’exclusivement des objets de piété que les heureux gagnants emportaient si volontiers, en congé, parce qu’ils disaient à leurs parents que leur fils-soldat restait fidèle à la religion du foyer. Un témoin oculaire crayonne, en 1895, dans La Métropole cette pittoresque esquisse qui nous fait saisir sur le vif les heureux résultats de ces intelligentes initiatives et de ces inlassables efforts.
L’ARMEE
C’était un dimanche du printemps dernier. Je me trouvai soudain dans une rude traverse, toute encombrée de militaires en petite tenue, de toutes les armes et de tous les grades. Officiers, sous-officiers et soldats causaient par groupes, achevant qui sa pipe, qui sa cigarette, puis s’engagaient, un à un, sous une porte donnant accès par un long couloir à l’église des Rédemptoristes. Intrigué, je me mêle à la foule et j’entre. Déjà la chapelle était pleine aux trois quarts et les derniers venus eurent vite fait d’en remplir les moindres recoins. Douze cents hommes étaient là, au bas mot, respectueux, immobiles, attendant en silence que l’office commençât. Au prmier rang, les officiers; puis confondus en pêle-mêle fraternel, des sous-officiers et des soldats aux uniformes variés : artillerie, génie, infanterie de ligne; tous les corps de la garnison étaient représentés là par de forts contingents. Après quelques minutes le prêtre monte à l’autel escorté de deux sergents faisant fonction d’acolytes. Au jubé ce sont des soldats qui chantaient; et c’est l’un d’eux aussi qui tient les orgues. Tous suivent l’office dans l’attitude d’un recueillement profond. A l’élévation, les clairons sonnent aux champs, faisant vibrer les vitres; et toutes les têtes s’inclinent avec respect. C’était très beau, en vérité. L’âme de ces réunions est le Père Vanderstraeten. Grand, robuste, la voix forte, l’allure martiale, il est bien l’homme qu’il faut pour parler à nos troupiers; son langage viril inculque avec autorité le devoir et l’honneur ! S’énonçant tour à tour en français et en flamand, il possède à fond l’art de parler au militaire le langage qui lui convient. Art difficile, mais conbien fécond ! Aussi est-il adoré de ces hommes, dont la plupart iraient au feu pour lui. Après la messe une courte réunion amicale amène les hommes dans une salle attenante à l’église. Le Père est au milieu d’eux. On se le dispute, tant il a su gagner les coeurs, tant ces jeunes gens se sentent aimés et compris par lui. Ce franc succès avait pu contenter une âme moins ardente que celle du Père Vanderstraeten, mais son grand zèle le portait à gagner pour son oeuvre des sympathies toujours nouvelles et à s’assurer dans une plus large mesure le concours des officiers supérieurs. Il saisissait ardemment toutes les occasions pour organiser de grandes solennités religieuses et patriotiques. Dans les journaux de l’époque se retrouvent des relations étendues de ces festivités. Ecrits par des témoins oculaires sous l’impression du moment ces récits en donnent le sens et l’ampleur, tout en caractérisant, comme il convient, l’action prédominante du Père Vanderstraeten. Nous empruntons à L’Escaut la relation de la première solennité, qui eut lieu en novembre 1894. “Nous avons assisté hier à une scène bien touchante dans l’église des PP. Rédemptoristes. Il s’agissait de célébrer un service divin pour le repos de l’âme du pontonnier, victime de la bourrasque qui fit, il y a peu de jours, tant de dégâts dans notre ville et pendant laquelle Joseph Sarlet fut précipité dans l’Escaut, vis-à-vis de la Tête de Flandre pour périr bientôt après dans les eaux du fleuve. Pour rendre la cérémonie plus importante, un splendide catafalque, sur lequel on avait déposé les armes du soldat sinistré, avait été érigé au milieu du tmeple. Or, dès avant l’heure fixée pour la messe, l’église était bondée de militaires accourus de tous les quartiers de la ville, pour payer un tribut de prières à la mémoire de leur bien-aimé compagnon d’armes. Le défunt en était digne à tous les égards. Modèle de toutes les vertus qui distinguent le vrai mlitaire, il était resté fidèle au Dieu de son enfance et se fit toujours un honneur de s’acquitter de tous ses devoirs religieux; soumis à tous ses chefs, il n’en parlait qu’avec respect; aimé de ses camarades, il ne rencontra jamais que des coeurs sympathiques. Ce n’est pas une merveille, après cela, que tous ses compagnons et plusieurs de ses chefs se soient plus à venir nombreux et recueillis, rendre un dernier hommage à la mémoire d’un si digne enfant de l’armée. Il n’est pas étonnant non plus que les larmes aient perlé dans les yeux de maints troupiers, pendant que le zélé directeur de l’Oeuvre Militaire prononçait à l’Evangile de la Messe l’éloge du cher défunt. Vraiment empoignante aussi était la marche funèbre exécutée par les musiciens du 5e, 6e et 8e. Après avoir assisté à cette émouvante cérémonie, tout homme, non imbu de stupides préventions, doit se dire : Voilà réellemnt des scènes bien faites pour relever le prestige militaire et ennoblir l’âme de nos enfants. Honneur à ceux qui dès longtemps, le comprennent et qui ont trouvé l’art de moraliser les masses par un incessant appel aux sentiments les plus élevés du coeur humain. Quant à nous, nous formons des voeux que l’Oeuvre établie dans l’église des PP. Rédemptoristes, continue à prospérer et à gagner toutes les sympathies.” Lors du décès du colonel Notebaert, si dévoué à la Messe militaire, une cérémonie funèbre plus émouvante encore fut organisée dans l’église de la rue Houblonnière. La Métropole en rendit compte en ces termes : “Dimanche dernier un millier de soldat et de nombreux officiers remplissaient l’église des PP. Rédemptoristes pour y assister à la Messe militaire qui s’y célèbre chaque dimanche à 9 ¾ h, et y entendre l’éloge funèbre du regretté Colonel Notebaert, commandant du 8e de ligne. Le spectacle était émouvant. Deux généraux et un grand nombre d’officiers supérieurs avaient voulu, par leur présence rendre un dernier hommage à leur ami et compagnon d’armes. Il était beau et consolant de voir l’attitude profondément recueillie des ces officiers et de ces soldats, leur émotion mal contenue lorsque l’éloquent prédicateur dans de vibrantes paroles retraçait devant eux la vie chrétienne du Colonel Notebaert. “Rien, disait-il, ne s’accorde dans ce monde comme l’esprit religieux et l’esprit militaire. Que d’illustres guérriers ont été en même temps de grands saints ! C’est qu’en effet, il existe entre la vie militaire et la vie chrétienne des sympathies naturelles, des affinités profondes, basées sur la pratique commune et en quelque sorte professionnelle du sacrifice. Quels hommes que les Joubert, les Charette, les Pâqueron, les Sonis ! “Le Colonel Notebaert était de cette trempe. “Colonel, lui disais-je un jour, vous devez avoir rencontré dans votre carrière bien des hommes ne partageant pas vos convictions ? “ – “Oui, repartit-il, et jamais pourtant, je n’ai rougi de ma foi devant eux.” Une autre fois il me dit : “Eh bien ! comment trouvez-vous nos soldats ? Sont-ils aussi indifférents en fait de religion qu’on le prétend ?” – “Non ! Colonel ! “ – “Se plaignent-ils de mauvais traitements ?” – “ Absolument pas ! “ – “ Ah ! continua-t-il, qu’il est triste de voir répandus tant de préjugés contre l’armée ! On nous dépeint comme des hommes sans coeur et pour ma part je vous le garantis, je ne saurais voir souffrir un soldat sans souffrir avec lui “. “La mort du Colonel Notebaert fut édifiante comme sa vie; il demanda lui-même les derniers sacrements et se prépara à sa confession avec la piété la plus touchante. Comme sa femme le pressait avec une tendre sollicitude de ne point trop se fatiguer, il lui fit cette réponse sublime : “Je ne saurais faire trop quand il s’agit de mon Dieu !” Le jeudi 14 février, il reçut la Ste Eucharistie. Il était beau de voir le Colonel, les bras croisés sur la poitrine, adorant la sainte Hostie et avançant pour la recevoir des lèvres où vibrait déjà le frisson avant-coureur de la mort ! Le vendredi fut pour lui un jour de souffrances. Pas un murmure cependant ne s’échappait de ses lèvres. Il priait sans cesse et lorsqu’il lui fut impossible d’articuler une parole, saisissant une médaille de la Vierge suspendue à son cou, il la pressa sur ses lèvres avec une dévotion si ardente que tous les assistants en furent attendris. “La race des Bayard n’est donc pas éteinte. Notebaert n’est plus, mais son esprit vit encore ! “Les discours vriament chrétiens prononcés à la mortuaire du vénéré Colonel, prouvent que de bien nobles coeurs battent toujours sous l’uniforme militaire. Nous vous en prions, Seigneur, faites que notre armée, qui est l’honneur du pays par son généreux dévouement à la plus noble des causes, reste aussi l’honneur de l’Eglise par sa foi et sa piété”. Ce voeu de l’éloquent panégyriste est celui de tous les vrais patriotes”. En mars 1895, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du Comte de Flandre, le Père Vanderstraeten invita les officiers supérieurs de la garnison d’Anvers. Plus de trente répondirent à cette invitation et assistèrent à la messe d’actions de grâce. L’intérêt toujours croissant qui s’attachait en ces années à la colonisation du Congo fournit à son tour une excellente occasion d’appeler l’attention du public sur son oeuvre patriotique. Le Père Vanderstraeten fit célébrer un service solennel en mémoire des officiers et soldats décédés sur la terre africaine. Cet article de L’Escaut nous laisse voir avec quel empressement officiers et soldats répondirent à l’appel. “Hier à l’église des PP. Rédemptoristes, M. le Lieutenant Général Ungricht, M. le Général Major Bourlard, M. le Capitaine Louis, adjudant d’Etat-Major représentant l’Etat du Congo, entourés d’un grand nombre d’officiers de tous grades, de plusieurs notabilités de notre ville et d’une foule compacte de soldats, assistaient dans un profond recueillement au service funèbre pour les officiers et sous-officiers belges morts cette année au Congo. L’excellente musique militaire du 5e régiment de ligne rehaussait l’éclat de cette émouvante cérémonie. Le Rév. Directeur de l’Institut des jeunes Congolais à Gysegem officiait. Deux jeunes nègres de l’Institut servaient la messe, essayant d’acquitter par leurs pieuses prières la dette de reconnaissance contractée par leurs frères envers nos héros d’Afrique. Ce simple rapprochement aux pieds des autels de deux oeuvres admirables, l’oeuvre de la messe militaire et l’oeuvre de l’éducation des jeunes Congolais, ne symbolise-t-il pas d’une façon touchante, l’alliance si féconde de la religion et de la patrie, l’union fraternelle de nos missionnaires et de nos soldats, resserrée ici par la communauté des sacrifices et l’intime collaboration à la grande oeuvre de la civilisation africaine ? Le R. P. Vanderstraeten qui dirige avec tant de succès et de juvénile ardeur, l’oeuvre de la messe militaire, après avoir exprimé éloquemment les sentiments de tous, au souvenir des hauts faits accomplis par nos soldats d’Afrique, terminait son allocution par cette magnifique et vibrante péroraison que nous nous ferions un reproche de ne pas reproduire: “Oui, pionniers de la civilisation africaine, dormez tous en paix à l’ombre de l’humble croix de bois qu’on a élevée sur votre tombe perdue au milieu des brousses de l’ Afrique. Vous avez combattu le bon combat, vous êtes morts sur le champ d’honneur; nous ne vous oublierons pas ! Le lien sacré qui nous rattache est plus puissant que la mort. Ah ! votre sacrifice ne restera pas stérile. Tertullien disait des martyrs de la foi que leur sang était une semence de chrétiens. Votre sang, héros d’Afrique, sera également une semence féconde. L’esprit de dévoûment et de sacrifice refleurira sur votre tombe et votre cendre bénie fera germer des héros. Dormez donc en paix. La cause que vous avez défendue si héroïquement au prix de votre sang, ne sera pas lâchement abandonnée. Non, il ne sera pas dit que le siècle qui va s’ouvrir devant nous a débuté par cette infamie. Pionniers de la civilisation africaine, dormez donc en paix. Et vous, grand Dieu, acceptez le sang de nos héros belges comme une expiation. Il ne crie pas vengeance comme celui d’Abel, il crie miséricorde comme celui de votre Fils Jésus, mort sur la croix pour le salut de tous ! Pitié donc pour nos frères d’Afrique ! Pitié pour les pauvres noirs ! Parce Domine, parce populo tuo. Etendez sur eux votre droite protectrice; arrêtez les traits des méchants conjurés. Donnez la foi et la paix à la race de Cham; Oui, que la foi chrétienne rayonne là où les peuples ont été si longtemps assis dans les ténèbres de l’erreur. Que la paix fleurisse là où ont regné le meurtre et le carnage ! Quant à nous, Messieurs les officiers, sous-officiers et soldats, souvenons-nous toujours des nobles exemples que nous ont légués les martyrs du continent noir. Que de froids et égoïstes calculs ne détournent jamais nos regards et nos sympathies d’une terre imbibée de leur sang !” Quand il s’agissait de donner de l’éclat à la Messe militaire, le Père Vanderstraeten ne reculait pas devant les projets hardis. En 1895, à l’occasion de la fête patronale du roi, il s’adressa bravement à son Eminence le Cardinal Goossens pour qu’il vînt présider la cérémonie et adresser quelques paroles d’encouragement aux soldats. L’éminent prélat ne put refuser et l’annonce de son arrivée suscita l’enthousiasme de nos troupiers. Un de nos grands quotidiens, Le Bien Public, narra cette fête touchante en des termes élogieux que nous aimons à reproduire. “Aujourd’hui, à l’occasion de la fête patronale du Roi, nous tenons à revenir sur la belle cérémonie qui a eu lieu dimanche dernier dans l’église des PP. Rédemptoristes d’Anvers où cette fête a été célébrée par anticipation. Le Cardinal Archevêque de Malines, sous le haut patronage duquel cette oeuvre a été instituée a tenu à donner un témoignage public de sa sympathie. Grande était la joie de nos braves troupiers quand ils apprirent que Son Eminence viendrait assister à la Messe. Aussi bien avant l’heure l’église était-elle bondée de militaires de toutes les armes et de tous les grades. A 9 ¾ h. Son Eminence fit son entrée pendant que les clairons sonnaient aux champs. Aussitôt la Messe commença servie comme d’habitude par deux artilleurs en uniforme. Pendant la Messe une musique exécuta les plus beaux morceaux de son répertoire. A l’issue de la cérémonie les soldats se sont rangés dans la grande cour intérieure. Soudain une fenêtre s’ouvrit et le Cardinal se montra. A l’instant les quinze soldats présents tombèrent à genoux, tête découverte et reçurent la bénédiction de Son Eminence. Jamais nous n’oublierons cette scène. Oui ! impossible de rendre l’émotion qui s’empara de nous à la vue de tous ces officiers, sous-officiers et soldats confondus dans un pêle-mêle fraternel et courbés sous la main de leur Evêque. Il nous semblait voir nos glorieux ancêtres à la bataille des Eperons d’or ployant le genou pour implorer sur leurs armes la bénédiction du Dieu des armées. Comme eux aussi ils se relevèrent pleins de fierté et de courage. Fortifiés par la bénédiction d’un prince de l’Eglise ils étaient prêts à affirmer leur foi de la façon la plus énergique. Aussi quand le Directeur de l’Oeuvre, après une courte allocution leur demanda de crier avec lui “Vive Jésus-Christ! Vive le Pape! Vive la Sainte Eglise!” etc. etc., tous sans excep-tion, la main droite levée vers le ciel et la main gauche appuyée sur la poitrine, répétèrent ces mêmes cris avec un enthousiasme tel qu’on aurait cru entendre des cris de guerre.”
LES RETRAITES PASCALES
Le zèle déployé par le Père Vanderstraeten pour maintenir, durant toute l’année, le succès de la messe militaire, se décluplait aux approches de Pâques. Il organisait alors une retraite avec les soucis d’un général élaborant un plan de bataille. En vrai homme de foi, il recourait d’abord à la prière et mettait à contribution les communautés religieuses afin d’obtenir par leurs suppli-cations le secours du Ciel. Fort de la force d’en haut, il s’efforçait de gagner la confiance des soldats par l’intermédiaire des curés et des parents et par un appel vibrant, il les convoquait à la retraite. Avec une noble franchise il leur disait : “Il faut faire vos pâques, oui, il faut les faire. C’est pour vous un devoir de discipline chrétienne, un devoir de dignité personnelle, de noble courage et de charité apostolique”. Plus d’une fois il éveilla ainsi la soupçonneuse animosité de la presse irréligieuse. “La Gazette” se distingua par le ton haineux de ses articles. A l’en croire, des attentats mystérieux, de souterraines conspi-rations se tramaient contre la sécurité de l’Etat. Le Bien Public y riposta avec beaucoup de finesse et de verve mordante. “Rassurez-vous, chers lecteurs, écrivait-il, le R. P. Vanderstraeten n’est pas un dynamitard et il ne songe qu’à conquérir des âmes. Mais c’est là précisément que le bât blesse La Gazette. Le fait est que la censure ne fonctionne guère à la caserne. On y prohibe peut-être à l’entrée le Vooruit, le Peuple, et les pamphlets socialistes qui poussent ouvertement à l’assaut de la “baraque patriotique et sociale”, mais à part cette vulgaire mesure de précaution, la liberté de la presse y règne, y fleurit et s’y étale aussi bien qu’ailleurs. Nous ne voyons donc pas pourquoi cette liberté de la presse, reconnue au R. P. Petrus, supérieur de La Gazette, serait interdite au R. P. Vanderstraeten, supérieur des Rédemptoristes anversois. La Gazette entre dans les casernes; pourquoi les circulaires imprimées des Rédemp-toristes n’y entreraient-elles pas ? Les gueux de La Gazette engagent, il est vrai, les soldats à “brosser leurs Pâques”, tandis que les Rédemptoristes les engagent à accomplir leur devoir pascal ... Mais qu’est-ce que l’Etat neutre – comme les libéraux l’appellent tous les jours – a donc à faire dans cette rivalité de propagande ? Le directeur de l’oeuvre militaire ne s’était d’ailleurs pas laissé ébranler par ces attaques; elles furent même pour lui un moyen inattendu de propagande. On peut en juger facilement par cet entrefilet de L’Escaut : La retraite préparatoire au devoir pascal, prêchée aux soldats de notre garnison, a produit cette année, les fruits les plus consolants. Plus de 2200 se sont approchés des sacrements avec un recueillement et une piété très remarquée. Il n’est que juste de reporter tout l’honneur d’un apostolat si fructueux sur l’infatigable missionnaire qui, par sa rondeur, sa franchise et son éloquence toute militaire s’est attiré l’estime et les sympathies des officiers comme des soldats. Cett rondeur, cette franchise et cette éloquence toute militaire se retrouvent parfaitement dans ce souvenir distribué à l’issue de la retraite :
MODELE DU SOLDAT DE JESUS-CHRIST
Sa pensée dominante: Ame perdue, tout perdu et à jamais. Telle vie, telle mort. Ou se réjouir éternellement avec Dieu, ou souffrir éternellement avec les démons. Son plan de campagne : Battre en retraite là où le combat serait désastreux, à savoir : devant les compagnons pervers, les mauvais discoureurs, les réunions légères, les lectures impies et immorales, car qui aime le péril y périra. Affronter sans raison un ennemi cent fois plus fort, ce n’est pas là du courage, c’est de la témérité ! Diriger toutes ses batteries contre l’impureté, l’ivrognerie et le blasphème. Ses armes : La prière, surtout au moment de la tentation. La force d’En-Haut, puisée dans la fréquentation des sacrements, l’assistance à la Messe militaire. Le recours à Marie, notamment par la récitation des 3 Ave Maria, le matin et le soir. Ses alliés : Jésus, Marie, Joseph. Son étendard : La croix et le drapeau tricolore. Son cri de guerre : Pour Dieu et la Patrie. En 1897, le succès de la retraite pascale s’affirma d’une manière insolite. Un groupe nombreux de soldats du 7e et du 8e de ligne se rendit aux sermons, musique en tête. La Chronique présenta les faits au public en les exagérant, si bien que l’autorité militaire se vit forcée d’intervenir. Deux caporaux qui avaient organisé cette manifestation furent punis. La feuille gueuse célébra son triomphe dans un article intitulé “Bien tapé, général”; mais Le Patriote, reprenant le titre, flagella de main de maître ces ridicules adversaires de la liberté religieuse.
BIEN TAPE, GENERAL.
Deux caporaux viennent d’être frappés d’une mesure disciplinaire par le chef de la garnison d’Anvers. La presse maçonnique exulte ! Le grand coup d’autorité l’enivre d’enthousiasme. De quoi s’agit-il ? L’ordre public était-il menacé ? La discipline militaire était-elle en danger ? Nullement. Ces braves gens avaient réuni cent à deux cents soldats, catholiques comme eux, et tous ensemble ils s’étaient rendus à l’église des R. P. Rédemptoristes pour suivre une retraite préparatoire à la communion pascale. Or, une dépêche de 1869 interdit ce genre de cortèges. Qui connaissait cette dépêche ? Pas nos caporaux, à coup sûr. On leur a rafraîchi la mémoire au moyen d’un emprisonnement. L’autorité était dans son droit, nous ne la critiquons pas, mais les délinquants étaient vraiment peu coupables. Au demeurant autant de tués que de blessés, tout va vien, la Belgique n’a couru aucun danger. Néanmoins, très généreusement La Chronique crie à M. de Tilly : Bien tapé, général ! Remarquez que les caporaux Dartois et Van Hecke sont des soldats exemplaires. Miliciens de 1895, ils ont acquis en peu de temps l’estime de leurs chefs et la sympathie de leurs camarades. S’ils avaient employé leur ascendant pour favoriser de la parole ou de leurs exemples les idées révolutionnaires ou irréligieuses ou l’immoralité même, qui les aurait dénoncés ? Dartois et Van Hecke subirent sans honte leur condamnation. Quand M. le Général Brialmont fut frappé pour avoir refusé d’exécuter la loi qui lui prescrivait de conduire ses soldats à des funérailles religieuses, quand il fut frappé pour s’être rendu enTurquie alors que ses chefs devaient avoir toute raison de croire qu’il était en Belgique – la condam-nation fut plus légère que celle qui vient d’atteindre deux caporaux anversois. Et la presse maçonnique défendit M. Brialmont ! Aujourd’hui elle crie : Bien tapé, général ! parce que les délinquants en cause sont deux jeunes caporaux ayant agi sans connaissance de cause, sans avoir nui à aucun intérêt supérieur ... M. Brialmont a été couvert de fleurs et d’honneurs. Il est, pour le parti libéral la personnification de l’armée. MM. Dartois et Van Hecke peuvent donc le front haut, se présenter n’importe où. La grande image de M. Brialmont les protège et les exalte. Cet incident, loin de comprimer l’ardeur du père Vanderstraeten, l’aviva davantage; il ne put s’empêcher de prendre sa revanche. Quand vint le terme du service des deux caporaux punis il organisa une fête en leur honneur. Entouré de nombreux soldats, il leur offrit un beau portrait en souvenir des tracasseries encourus par leur zèle pour l’oeuvre militaire. Peu après, ses supérieurs lui confièrent la direction du second noviciat à Liège. Il quitta à regret Anvers et ses soldats. Ce fut un joie pour lui de les retrouver lorsqu’il devint recteur du couvent de la Métropole. Aussitôt il réassumera avec le même dévoûment et la même énergie la direction de son oeuvre de prédilection.
LE SUPERIEUR
Les traits caractéristiques du Père Vanderstraeten comme préfet du second noviciat furent la bonhomie et une noble générosité pour ouvrir largement à ses disciples le trésor de son expérience et de ses écrits. Néanmoins la privation de vie apostolique lui pesait tant que ses novices eux-mêmes firent les premières démarches auprès du très Rév. Père Provincial pour lui obtenir l’autorisation de donner de temps en temps une retraite ou une mission. Cette requête trouva bon accueil, et depuis lors le Préfet put, par intervalles, déployer joyeusement ses ailes pour s’envoler à la conquête des âmes. Il ne s’en consacrait pas moins tout entier à sa tâche et tandis qu’il animait les novices à la discipline régulière et à l’esprit de prière, il se dépensait pleinement à leurs intérêts spirituels et temporels, les stimulait au travail et à l’acquisition des vertus. Le second noviciat fut pour lui un stade de préparation au supériorat. Au décès du recteur de Bruxelles, survenu peu après, il fut nommé supérieur du couvent de St-Joseph. Cette nouvelle le surprit plus que les autres, et à plusieurs confrères il exprima cette surprise en s’écriant : “Toute la province en sera épatée !.. “ Il n’avait que 37 ans. A St-Joseph il conquit aussitôt la confiance de la communauté par sa largeur d’esprit et sa bonté de coeur, mais sa démarche dégagée et ses allures militaires, aussi bien que sa parole hardie et aggressive ne plurent pas toujours aux habitants du Quartier-Léopold. Après deux ans, il s’achemina, comme recteur, vers Anvers, au couvent de la rue Houblonnière. Là, il était connu avantageusement; il y reprit la direction de l’Oeuvre militaire et présida en même temps à la Ste-Famille des Dames et à l’Association des Mères Chrétiennes. A Anvers, comme à Liège, où il se rendra en qualité de supérieur après trois ans, il rencontra de chaudes sympathies. Ses allures de soldat et son franc parler plaisaient fort à la population. En 1912 nous le retrouvons dans la Métropole, mais à peine y est-il installé comme recteur depuis quelques mois, que dans un enthousiasme plus admirable que réfléchi, il accepta spontanément l’offre qui lui fut faite de fonder une nouvelle mission en Galicie.
Il expérimenta bientôt qu’à cinquante ans, on ne s’assimile plus aisément une langue telle que l’idiome ukranien et, après six mois, il rentra en Belgique. Son retour coïncidait avec le départ du recteur d’Esschen et il fut chargé de le remplacer. Quand vinrent les tristes jours de la guerre, il courut s’offrir comme aumônier militaire et après la retraite de nos troupiers sur l’Yser, il se rendit en France pour s’y dévouer au soin des réfugiés belges. En 1919 il fut appelé à diriger la maison de St-Trond et s’acquitta de cette charge jusqu’en avril 1924 peu de mois avant son heureux trépas. Il a donc exercé la fonction de recteur, quize ans durant, dans cinq communautés différentes. Sa manière de gouverner eut sans doute, comme toute oeuvre humaine, ses lacunes; mais ces nominations réitérées et la satisfaction unanime de ceux qui furent ses sujets disent assez haut qu’il remplit sa tâche avec honneur. Gouverner une communauté n’est pas oeuvre facile. La charge d’un recteur est étendu autant que complexe : il doit promouvoir l’esprit de prière et de discipline, s’intéresser aux nécessités spirituelles et temporelles de ses sujets, coordonner les travaux suivant les capacités intellectuelles et les forces physiques d’un chacun; il doit enflammer l’ardeur des uns, réprimer un zèle intempestif des autres; bref, il doit porter partout un regard vigilant. L’autorité et la bonté doivent s’unir dans le recteur pour assurer l’observance régulière et conserver la confiance de tous, d’après ce caractère distinctif du gouvernement divin décrit dans ces paroles de nos Saints Livres : Attingens a fine usque ad finem fortiter suaviterque disponens omnia : la fermeté dans la poursuite de la fin alliée à la douceur dans l’emploi des moyens. Le Père Vanderstraeten fut toujours un home de prières, inviolablement fidèle aux multiples exercices de piété prescrits par la Règle, et généreux pour y ajouter des oraisons surérogatoires. On le trouvait souvent à la chapelle absorbé dans la méditation ou la lecture spirituelle. tout cela se faisait un peu martialement, mais il était aisé de deviner sous ces dehors assez dégagés une âme toute trempée de dévotion. Il ne connaissait pas de respect humain et il aimait à réciter ostensiblement son rosaire. Si un impie ou un viveur se permettait de railler cette piété, la riposte du Père était là, vive, mordante, avec un aplomb qui couvrait de confusion l’imprudent rieur. A ses exemples il joignait une parole persuasive qui utilisait toutes les circonstances opportunes, pour raffermir l’esprit de piété dans l’âme de ses subordonnés. L’observance régulière était comme innée chez lui. Il l’avait pratiquée exemplairement comme sujet; il n’y fut pas moins fidèle comme supérieur et pouvait donc à bon droit l’exiger de ses subordonnés. Sa manière d’imposer la discipline était si agréable qu’il l’obtenait sans contrainte. Il avait l’art de faire les observations nécessaires à ses sujets en les émaillant d’un mot
plaisant, d’une fine pointe qui les faisait accepter en riant. C’était toujours aussi une joie pour lui d’accorder à sa communauté quelque joyeuse récréation pour laisser davantage se dilater les coeurs, refaire les forces et rallumer l’ardeur. Dès que l’on devenait son sujet, on avait une place réelle dans son affection et on pouvait librement épancher en son âme ses peines et ses soucis. En réglant les travaux, il prenait vaillamment pour lui la plus large part du labeur à la maison et pour les prédications du dehors il tenait à satisfaire tous ses pères. Il en était soucieux au point de mécontenter quelquefois les curés en leur envoyant des prédicateurs moins qualifiés qu’ils ne l’eussent désiré. On le lui fit remarquer plusieurs fois, mais son désir de faire plaisir à ses subordonnés le fit à maintes reprises retomber dans cet excès de bonté. Cet homme à l’allure si crâne, à la démarche si fière, était profondément humble. Pour les supérieurs, il avait un respect sans limites; pour ses confrères, même pour les humbles frères servants, il avait toute la simplicité d’un camarade et il n’avait aucune répugnance à aller s’agenouiller devant le plus jeune de ses pères pour lui demander, avec grande componction, l’absolution sacramentelle. Dans cette poitrine de soldat battait un coeur extrêmement tendre à l’égard de ses parents, de ses confrères, de ses protégés. Il lui arrivait d’agir sans beaucoup de réflexion, d’être trop faible, de se révéler impulsif : on le lui pardonnait facilement et on passait l’éponge sur le tout par ce seul mot : c’est un coeur d’or. Le Père Vanderstraeten était un lutteur incomparable et cependant nul autant que lui n’aimait la paix. “La paix, disait-il souvent, est le plus grand trésor d’un communauté; j’aime mieux laisser se commettre une faute et fermer les yeux que de voir la paix troublée.” Il s’était appropriée parfaitement les points de ce profond psychologue qui s’appelle St Bernard: “Multa nescias, plurima dissimules, nonnulla obliviscaris” : “Ignorez beaucoup, détournez les yeux de bien des choses, oubliez en quelques unes”. Il sera toujours estimé parmi nous comme un religieux fervent, et ceux qu’il dirigea garderont de lui le souvenir d’un supérieur plein de cordialité.
plaisant, d’une fine pointe qui les faisait accepter en riant. C’était toujours aussi une joie pour lui d’accorder à sa communauté quelque joyeuse récréation pour laisser davantage se dilater les coeurs, refaire les forces et rallumer l’ardeur. Dès que l’on devenait son sujet, on avait une place réelle dans son affection et on pouvait librement épancher en son âme ses peines et ses soucis. En réglant les travaux, il prenait vaillamment pour lui la plus large part du labeur à la maison et pour les prédications du dehors il tenait à satisfaire tous ses pères. Il en était soucieux au point de mécontenter quelquefois les curés en leur envoyant des prédicateurs moins qualifiés qu’ils ne l’eussent désiré. On le lui fit remarquer plusieurs fois, mais son désir de faire plaisir à ses subordonnés le fit à maintes reprises retomber dans cet excès de bonté. Cet homme à l’allure si crâne, à la démarche si fière, était profondément humble. Pour les supérieurs, il avait un respect sans limites; pour ses confrères, même pour les humbles frères servants, il avait toute la simplicité d’un camarade et il n’avait aucune répugnance à aller s’agenouiller devant le plus jeune de ses pères pour lui demander, avec grande componction, l’absolution sacramentelle. Dans cette poitrine de soldat battait un coeur extrêmement tendre à l’égard de ses parents, de ses confrères, de ses protégés. Il lui arrivait d’agir sans beaucoup de réflexion, d’être trop faible, de se révéler impulsif : on le lui pardonnait facilement et on passait l’éponge sur le tout par ce seul mot : c’est un coeur d’or. Le Père Vanderstraeten était un lutteur incomparable et cependant nul autant que lui n’aimait la paix. “La paix, disait-il souvent, est le plus grand trésor d’un communauté; j’aime mieux laisser se commettre une faute et fermer les yeux que de voir la paix troublée.” Il s’était appropriée parfaitement les points de ce profond psychologue qui s’appelle St Bernard: “Multa nescias, plurima dissimules, nonnulla obliviscaris” : “Ignorez beaucoup, détournez les yeux de bien des choses, oubliez en quelques unes”. Il sera toujours estimé parmi nous comme un religieux fervent, et ceux qu’il dirigea garderont de lui le souvenir d’un supérieur plein de cordialité.
DIRECTION DE LA SAINTE FAMILLE A ROULERS ET A ST-TROND
En octobre 1909 il cessa d’être recteur et fut envoyé à Roulers. Habitué depuis huit ans à commander, il rentra dans les rangs avec la simplicité d’un novice. Plein de vénération à l’égard de son supérieur plus jeune que lui, affable à l’égard de ses confrères, il donna, au témoignage unanime des membres de la communauté, l’exemple d’une piété solide, d’une obéissance totale, d’une humilité sincère, et d’une charité parfaite. Il fut chargé de la direction de la Sainte Famille et assuma avec entrain cette tâche qui répondait à ses attraits toujours combatifs. L’association de la Ste Famille est à Roulers un foyer ardent de vie catholique. Plus de mille hommes de tout rang et de toute condition, répartis en soixante sections, s’y réunissent chaque semaine dans un même élan de foi, autour de la chaire de vérité et y fraternisent dans la prière, offrant ainsi le spectacle d’une vivante solution de la question sociale. Le Père Vanderstraeten mit au service de cette Association le même entrain qu’il avait déployé pour l’Oeuvre militaire. Il parlait à ces hommes comme il parlait aux soldats. Il leur adressait ses invitations à la retraite comme il y conviait autrefois ses hommes de la garnison d’Anvers. Les termes militaires halte, en avant; rassemblement, au repos, revenaient spontanément sur ses lèvres et sous sa plume. Les asscociés de la Sainte Famille en furent, dans les débuts, quelque peu surpris, mais bientôt ce ton et ces allures trouvèrent bon accueil chez eux. Le nouveau directeur devint populaire à Roulers et l’Association prospéra sous sa conduite. Quand, en 1910, libéraux et socialistes avaient formé le “cartel” en vue des élections législatives, le Père Vanderstraeten n’hésita pas à se jeter dans la mêlée. Il organisa durant plusieurs mois des conférences spéciales aux réunions de la Ste Famille et y invita tous les électeurs de la ville et des environs. Ses attaques contre les ennemis conjurés de notre foi eurent un grand retentissement et obtinrent le succès des plus vastes meetings. Le 12 mai les catholiques de l’arrondissement remportèrent une victoire éclatante : leur cinq députés passèrent haut la main. Au témoignage de l’honorable Monsieur Mahieu, bourgmestre de la ville et député de l’arrondissement, ce triomphe était dû pour une grande part aux hommes de la Sainte Famille. Le souvenir du Père Vanderstraeten est resté vivant à Roulers. Aux fêtes jubiliaires de 1924, les mille membres de l’Association groupés autour de sa Grandeur Mgr L’Evêque de Bruges, de l’autorité ecclésiastique et civile de la ville, saluèrent d’une ovation longue et enthousiaste le nom de leur ancien directeur.
Plus tard devenu recteur à St-Trond, il y dirigea également la Sainte Famille des hommes. Cette Association, digne émule de celle de Roulers, jouit durant soixante-quinze ans, d’une vitalité magnifique par le nombre et la conviction religieuse de ses membres. Le Père Vanderstraeten lui apporta l’appoint de son dévouement et de son ardeur combative. Le Révérend Père Adjutus, des Frères-Mineurs, le rappela, il y a quelques semaines, en présence de son Excellence Mgr Micara, nonce à Bruxelles, et d’un auditoire compact. Il fit le portrait du directeur infatigable et résuma sa pensée en la parole expressive de Saint Paul, mise en lumière dans ces pages : Bonus miles Christi. “Qui n’a pas admiré, s’écria l’orateur, l’infatigable et enthousiaste Père Vanderstraeten dont la tombe est à peine fermée ? Il était au sens sublime du mot le bonus miles, le vaillant soldat, buriné par Saint Paul. Soldat il l’était par la trempe de son caractère ! Dans chacune de ses allocutions il sonnait le clairon et brandissait l’étendard. Ses démonstrations étaient des assauts à la baïonnette contre la redoute ennemie; il entraînait ses auditeurs comme on entraîne un régiment à l’attaque.”
CHEZ LES REFUGIES BELGES EN FRANCE
En décembre 1914, à la demande de l’archevêché de Malines et avec le consentement de ses supérieurs, le Père Vanderstraeten se rendit en France comme aumônier des réfugiés belges. Il y resta jusqu’à la fin de la guerre. Sa vie s’y caractérisa par une générosité sans limites, et des témoins nous affirment que son incomparable audace, unie à un zèle débordant, lui valurent un grand succès auprès des Français aussi bien que des Belges. IL fut audacieux pour pénétrer partout, muni ou non d’un passeport, bravant crânement la sévérité des prescriptions militaires, ou se servant durant des mois d’un brevet d’aumônier depuis longtemps périmé. Il mit au service des réfugiés la même audace afin d’obtenir des fonctionnaires, même les plus haut placés, des secours de toute nature; et, plus audacieux encore dans ses prédications, il appela la guerre un châtiment de Dieu, attiré sur la France par l’irréligion et l’immoralité grandissante. L’écho de cette parole hardie parvint jusqu’au Havre, et le gouvernement belge, soucieux d’éviter tout froissement avec les Français, invita plus d’une fois le prédicateur osé à user de discrétion et de prudence. Les autorités belges ne purent s’empêcher toutefois de reconnaître en lui un homme de haute valeur, et quand un nouveau poste, où s’imposait un homme de forte trempe, fut devenu vacant, on le rappela de Rennes à Angers. A cette audace s’allia un beau zèle. Dans une revue, intitulée Bulletin Familial et destinée aux confrères belges retenus en France, se trouvent résumées les admirables courses apostoliques entreprises par notre héros. Il évangélisa, y lisons-nous, les diverses communes du Calvados et y donna, dans l’espace de deux mois, huit retraites successives, où on le vit apparaître en chaire quatre à cinq fois par jour. Les Belges dispersés, avides de la parole d’un compatriote, assistaient en foule aux sermons et, résultat consolant, sur deux mille, un seul refusa de se confesser. Une autre série de huit retraites, données dans la Seine-Inférieure et suivie d’une mission de quinze jours à Rouen, lui imposa le même labeur et obtint un égal succès. Un noble châtelain invita le Père Vanderstraeten à prêcher les exercices de la mission dans sa localité. Voici comment il en rend compte dans une lettre qu’il nous a adressée. “Mon Révérend Père, Vous me faites l’honneur de me demander mon concours pour rassembler quelques faits saillants de la vie du Rév. Père Vanderstraeten. Je l’ai connu, hélas, pendant fort peu de temps, mais suffisamment aussi pour pouvoir admirer sa nature généreuse et vaillante, ainsi que son indomptable apostolat. Appelé par moi à venir prêcher une mission dans le Nord de la France, il s’est rendu à son labeur, plein d’un optimisme sans bornes. En vain lui ai-je représenté les déceptions qui l’attendaient... Il commença sa mission avec toute la ... fougue dont il était capable. Il la continua pendant quinze jours, ne se rebutant pas même devant des portes obstinément closes à son approche. Je l’entendais parfois, comme se parlant à lui-même, qui disait : “Les pauvres, les pauvres gens, s’ils comprenaient pourquoi je suis ici ! “ Et avec le même courage, il reprenait les armes le lendemain matin. Après quelques jours l’église était comble, et ne désemplit plus. Combien de retours officiels aux sacrements délaissés depuis huit, dix et vingt ans ! Combien de retours définitifs à Dieu dans la Foi, sinon, hélas, encore dans la pratique ! Le bon Père, comme on le surnommait, aurait dû vivre encore de longues années ! Son souvenir est resté très vivant dans la paroisse où il a passé en faisant le bien.” Durant ces quatre années le missionnaire resta fidèle à tous les exercices de piété, prescrits par sa Règle, entretint une correspondance suivie avec son supérieur, lui soumettant toutes ses difficultés et lui témoignant en toutes circonstances le plus profond respect. Cette vie d’aumônier des réfugiés, avec ses péripéties diverses, ses situations variées et son apostolat fécond, lui plut outre mesure. Il s’en ouvrit plus tard à maints confrères et leur certifia que, à ses yeux, son séjour en France fut le plus beau stade de sa carrière apostolique. Peu après l’armistice il revint en Belgique, y reprit sans peine le train de la vie commune et fut nommé, en décembre 1919, recteur de notre couvent de St-Trond.
DERNIERS ANNEES ET PIEUSE MORT
L’activité débordante de notre héros se trouvait à l’étroit sur ce théâtre, aussi restreint que peu animé. Il l’avoua parfois dans l’intimité; mais porta avec courage et grand esprit de foi la charge imposée par l’autorité. Rarement en contact avec la ville, il concentra ses efforts sur sa communauté et entretint une correspondance plus suivie avec les membres de sa famille et ses anciens amis. Ceux-ci lui étaient restés fidèles en grand nombre, spécialement dans le clergé et parmi ses anciens soldats. Signalons l’arrivée à St-Trond des deux caporaux, Dartois et Van Hecke, qui plus de vingt ans auparavant lui avaient prêté main forte dans la direction de l’oeuvre militaire. Tous deux avaient marché dans la vie, fidèles à leurs principes religieux et visiblement bénis de Dieu; le premier venait d’être élu député permanent de la Flandre Occidentale. Il appela cette visite un réconfort et une jouissance. Au reste toute amitié fidèle lui faisait grand bien; car on remarquait, qu’avec l’âge, il devenait et plus sensible et plus affectueux. La première atteinte du mal qui devait l’emporter ne se fit hélas ! pas attendre. Il resta plusieurs jours sans pouvoir proférer une parole. Sa forte constitution sembla prendre le dessus, mais sa carrière apostolique était définitivement close. Quelque rare mission ou retraite de moindre importance, jointes à des conférences sur la Galicie, furent sa seule occupation. Il souffrit péniblement de cet état de désoeuvrement et, dès qu’un mieux se faisait sentir, il entreprenait de plus grands travaux, pour se voir aussitôt contraint à abandonner la besogne. Il se traîna ainsi jusqu’en avril 1924. A cette époque eurent lieu les nominations des supérieurs; le PèreVanderstraeten fut déchargé de ses fonctions et envoyé au couvent de Liège. Il partit tout heureux, car Liège lui rappelait de bien doux souvenirs; des confrères sympathiques et un de ses neveux, vicaire dans la ville même, l’y attendaient. Ses forces avaient décliné au point qu’il dut être confié, dès son arrivée, aux soins du frère infirmier. “J’ai commandé presque toute ma vie, dit-il à celui-ci, je suis bien aise de la terminer en obéissant.” Le frère lui exprima, un jour, son admiration pour la largeur d’esprit et de coeur dont il avait fait preuve durant sa supériorité. - Mais oui, reprit le Père, je me suis toujours efforcé de me montrer bon à l’égard de tous et de découvrir la faiblesse humaine dans les défauts du prochain; par là j’étais plus enclin à excuser qu’à condamner. - Et vous fûtes même cordial à l’égard du moindre frère servant, ajouta l’infirmier. - Et pourquoi non, répliqua le malade ? Je me figurais être à leur place et me demandais comment j’aurais voulu être traité moi-même. Le divin Maître n’a-t-il pas dit : Ce que vous aurez fait au moindre des miens, c’est à Moi-même que vous l’aurez fait. Dans une crise aiguë une parole brusque lui ayant échappé, il voulut se jeter à genoux devant le frère infirmier pour demander pardon : “Imputez cette vivacité à mon état maladif, dit-il, car jamais je n’ai voulu de plein gré faire de la peine à quelqu’un.” Il remerciait avec effusion tous ceux qui lui rendaient quelque service et, lorsqu’il lui fut impossible de l’exprimer par paroles, il pressait amicalement la main. Toujours pénétré d’un grand respect à l’égard de ses supérieurs, il s’excusait vivement de ne pouvoir se lever à l’approche du recteur ou du provincial. Son esprit de prière se donnait libre carrière durant sa dernière maladie. C’étaient des oraisons jaculatoires variées et répétées qui de son coeur montaient à ses lèvres, ou l’Ave Maria repris des centaines de fois en appuyant sur la dernière invocation : Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Quelques instants avant son trépas on l’entendit répéter à haute voix cette même supplication. Enfin le 17 juillet 1924, entouré de ses confrères, qui s’unissaient aux prières des agonisants récitées par le T. R. P. Provincial, il s’endormit doucement dans le Seigneur. Le soldat du Christ, l’apôtre infatigable n’était plus. Dans sa dernière maladie il avait donné un nouveau témoignage des vertus d’obéissance, de charité et de piété qui caractérisèrent toute sa vie et ne furent que l’épanouissement de son grand esprit de foi. Il pouvait donc conclure avec l’Apôtre : Bonum certamen certavi, cursum consummavi, fidem servavi; in reliquo reposita est mihi corona justitiae quam reddet mihi Dominus in illa die justus judex: J’ai combattu le bon combat. J’ai accompli ma course jusqu’au bout. J’ai gardé la foi. Elle est prête désormais la couronne de justice que me donnera le Seigneur, le juste juge, au grand jour. (2 Tim. IV, 7, 8). †
(Typed by Mr Aimé Dupont of Flanders.)
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